Le bilan de la Convention Vie et Nature pour une écologie radicale

Le bilan de la Convention Vie et Nature pour une écologie radicale

Créée en 2002, la CVN, Convention Vie et Nature pour une écologie radicale, prône la préservation des espèces et des individus. Son président, Gérard Charollois, qualifie ces deux dernières décennies de « vingt ans sous la botte » — celle des chasseurs. Il nous explique comment ils établirent « la féodalité cynégétique française ».

À peine plus de 1 million de chasseurs imposent leur dictature, celle des fusils. Les politiques protègent ce lobby qui tue quelque 30 millions d’animaux et une trentaine d’humains par an. Les mentalités n’évoluent-elles donc pas ?

Pour nos animaux sauvages, les vingt dernières années furent celles d’un immobilisme imposé par la féodalité cynégétique française. Si une loi du 10 juillet 1976 reconnaît à l’animal la qualité d’être sensible, si nombre de Constitutions en Europe proclament solennellement la nécessité de protéger les animaux, si la chasse à courre a disparu dans les autres pays qui s’acheminent vers un abandon progressif, tout autant qu’inéluctable, du loisir de mort, la France se singularise par une paralysie de sa législation, désormais en décalage notoire avec les aspirations des citoyens. Car, malgré une propagande grossière et tapageuse des partisans de la chasse, l’opinion publique évolue et rejette cette activité perçue par beaucoup comme cruelle, contraire à la nécessité de protéger la faune, dangereuse pour les tiers. Grâce à des données et réflexions étayées, telles celles publiées par Charlie, les mentalités s’affinent. Mais ce progrès des meurs et des manières ne reçoit pas sa traduction dans l’ordre politique et juridique.
Ici, l’on tue près de huit mois par an, de jour et de nuit, les oiseaux d’eau, par le fusil et par le piège les renards et les mustélidés, par la traque ou le déterrage les blaireaux, au filet et à la tendelle les grives. Ici, les ours, les lynx, les loups sont massacrés par des braconniers impunis et parfois avec la complicité des pouvoirs publics donnant des « autorisations de destruction ». Ici, le nombre d’espèces chassables est le plus grand d’Europe et le temps d’ouverture de la guerre faite à la faune est le plus étendu du continent. Ici, l’administration consulte d’abord les chasseurs et les lois sont faites par et pour ce groupe de pression très minoritaire qui dispose de ses relais au Parlement et qu’un système corporatiste, hérité du gouvernement de Vichy, assure d’une prévalence exorbitante dans une démocratie, oublieuse de l’être en ce domaine.

Le « gibier » n’est-il pas mieux considéré aujourd’hui, à la fois par la population et par les politiques ?

Ici, il est malaisé, sans se voir qualifier d’extrémiste, d’énoncer cette simple évidence : l’animal, être sensible, n’est pas de la chair à fusil et la nature qui se meurt nous appelle à la compassion, au respect et non à une pseudo-gestion consistant à relâcher des animaux d’élevage pour alimenter artificiellement le stand de tirs des chasseurs, tout en persécutant les prédateurs naturels. Mais ici, comme partout ailleurs en Europe, le nombre des chasseurs s’étiole. Ils étaient 2 500 000 en 1975 et en 2011, très officiellement, ce sont 1 200 000 permis de chasser qui furent validés, ce qui signifie concrètement que ce pays pâtit de 1 million de chasseurs, nombre en diminution année après année.

Quels cadeaux fit la droite aux chasseurs ?

Lorsqu’il prit ses fonctions de Premier ministre, en mai 2002, Jean-Pierre Raffarin affirma que la chasse « serait sa priorité » ! Et, de fait, durant dix ans, la droite au pouvoir multiplia les cadeaux à la féodalité de la chasse. Le contrôle financier sur les fédérations de chasseurs fut assoupli. Le braconnage des passereaux fut légalisé en Aveyron et en Lozère à l’aide de pièges non sélectifs. La chasse de nuit des oiseaux d’eau fut étendue à de nombreux départements et le fait d’entraver une chasse à courre fut érigé en contravention, ce qui fait de la chasse française l’unique loisir au monde pénalement protégé par un décret de juin 2010. Quant aux droits et libertés des opposants à la chasse, inutile de les rechercher dans les lois nouvelles. D’ailleurs, pour le lobby chasse et ses agents politiques, l’opposant à la chasse n’a pas lieu d’exister : il est frappé d’ostracisme ce qui révèle le caractère intrinsèquement antidémocratique du loisir de mort. Vingt ans de perdus pour la biodiversité et pour cette conquête de la conscience que sera l’abolition de l’art de tuer.

Peut-on espérer plus de compassion d’un gouvernement de gauche, ou sommes-nous, comme avec les gouvernements précédents, dans un État lui-même braconnier ?

Le gouvernement dit de gauche, revenu aux affaires en mai 2012, ne semble guère en mesure de faire avancer la réglementation, le personnel politique demeurant prisonnier d’une vision archaïque de la société et le lobby chasse restant en place. Ainsi, en août 2012, le ministère de l’Environnement maintient des mustélidés et des corvidés sur la liste des prétendus « nuisibles ». Une poignée d’agro-cynégétique, éleveurs de moutons puissamment subventionnés, perdurent à exiger des tirs de loups et les tueurs d’ours, de lynx ou de loups ne sont pas sanctionnés par les tribunaux. En France, pour satisfaire l’opinion publique, pour rendre l’hommage du vice à la vertu, pour consacrer le principe du caractère sensible de l’animal et pour indiquer qu’il prend conscience des menaces pesant sur la biodiversité, le législateur édicte, dans un premier temps, une belle norme, généreuse, éclairée, progressiste, puis immédiatement lui apporte d’innombrables dérogations vidant la règle de toute portée pratique. Il suffit qu’un groupuscule tapageur et bien relayé de tueurs exige de tirer la nuit, de piéger la grive à la tendelle, d’exterminer la belette ou le putois, de déterrer le blaireau en mai, d’aérer le fusil en avril pour massacrer la corneille, et l’État se fait complice de ses arriérations. Ainsi, on peut constater que la chasse ferme mal en France et que toute l’année, sous des prétextes menteurs, la faune est soumise à une guerre sans honneur.

Quel paravent utilise le monde de la chasse pour manier le piège et le fusil toute l’année ?

Le décret du 30 septembre 1988 pose que peut être classée « nuisible » une espèce portant atteinte à trois types d’intérêts supérieurs : la protection de la sécurité et santé publique, la prévention d’importants dégâts aux cultures, le maintien des équilibres de la faune et de la flore. Or, lorsque les associations de protection de la nature défère devant les tribunaux administratifs les arrêtés classant « nuisibles » les fouines, martres, renards et corbeaux freux, ce ne sont ni les syndicats de médecins, en charge de la santé publique, ni les syndicats agricoles, défendant les cultures qui interviennent au soutien de ces arrêtés, mais les seules fédérations départementales des chasseurs ! Quelle magnifique preuve du détournement de pouvoir ! Sous couvert de pseudo-intérêts généraux, c’est la chasse qui est prorogée en temps prohibé et selon des modes prohibés qui est servie. Disons-le clairement : certains aiment tuer et jouissent de cette prérogative malsaine et inquiétante. La « gestion », la « régulation », ne sont que de grossières impostures. Culturellement, une fraction de la société, désormais minoritaire mais soutenue par la classe politique, refuse l’existence même de la nature non maîtrisée. Pour cette fraction « traditionaliste », l’espace rural constitue une source d’exploitation maximisée et d’activités irrespectueuses de la biodiversité. Cette fraction agro-cynégétique aseptise et artificialise la nature, dans laquelle le prédateur n’a plus sa place.

Avons-nous atteint un point de non-retour, ou pouvons-nous encore épargner le vivant ?

Soit nous mutons nos comportements, et la biodiversité peut être sauvée, soit nous persistons à être des destructeurs forcenés et le loup, l’ours, le renard et le lynx n’auront plus droit de cité ici, pas plus que l’éléphant et le tigre ne l’ont dans leurs régions. Choisissons la vie et récusons cette approche destructrice et méprisante.
Je ne suis pas de ceux qui aspirent à une réforme de la chasse. On n’a pas réformé les ordalies, les bûchers, la torture, l’esclavage, le génocide. On les a abolis pour des impératifs éthiques fondamentaux. Il est venu le temps d’admettre qu’un animal, fût-il sauvage, n’est pas une chose, un objet, une machine, mais bien un être capable d’éprouver la souffrance et l’effroi, un être qui, à ce seul titre, ne doit pas être terrorisé, mutilé, traqué, tué pour qu’un humain repu trompe l’ennui de ses dimanches en endeuillant la nature.

www.ecologie-radicale.org

Propos recueillis par Luce Lapin
16 janvier 2013