Politique : les complices

Politique : les complices

Pour certains élus EELV, la compassion pour les taureaux s’arrête aux portes de Nîmes. En septembre 2006, Les Verts ont voté au CNIR, Conseil national interrégional, une motion sur la condition animale, la fameuse « fiche D9 » qui m’avait à l’époque tant émerveillée. Expérimentation animale, élevage, animaux de compagnie, « loisirs »… C’était la première fois qu’un parti politique montrait autant d’intérêt pour la condition animale et se préoccupait, voire s’inquiétait du bien-être de nos si mal nommés « frères inférieurs ».
    Dans son projet de septembre 2012, toujours dans l’optique de le protéger, Europe Écologie-Les Verts non seulement réaffirme la détermination des Verts, mais va même plus loin, proposant carrément de changer, donc d’améliorer, le statut juridique de l’animal, où il ne serait plus considéré comme un simple « bien meuble » (article 528 du Code civil). Cette révolution, car cela en serait bien une, ô combien attendue par les acteurs de la protection animale et également par une grande majorité de Français, entraînerait une amélioration indéniable de son sort et notamment la fin des corridas, des combats de coqs ainsi que la présence des animaux sauvages dans les cirques. Extrait d’« Animaux et société » : « […] L’abolition de la corrida et de l’expérimentation animale sont des causes de mieux en mieux acceptées et défendues. Pourtant, l’animal peine encore à entrer dans le champ politique national. Rares sont les partis politiques qui se saisissent de ce sujet. […] La culture française est encore le théâtre de pratiques violentes envers les animaux […] maltraités ou tués au motif de la seule distraction de quelques-uns, ou au prétexte de traditions ou de pratiques artistiques. Cette culture de la contrainte, de la cruauté et de la violence au prétexte d’activités de loisirs, culturelles ou d’œuvres artistiques n’est plus admissible. Il en va de même pour les activités qui impliquent toute forme de souffrance, de privation de liberté et de dignité des animaux à des fins de distraction. » C’est tout joli tout beau sur le papier, et surtout plein d’espoir. Impatient, mon bulletin de vote frétille une fois de plus, en attente des élections, proches et prometteuses. Car, parallèlement, EELV se préoccupe des humains sans papiers, des mal logés, des laissés pour compte… Confirmation que l’écologie politique — car, politique, elle l’est obligatoirement, elle ne saurait être autre — est un tout. Enfin un parti qui a compris que les humains, l’environnement ET les animaux sont indissociables, un parti qui intègre ces notions pour moi élémentaires ! Sinon, à quoi bon se battre, et pour quoi.
    Mars 2014. Alerte de l’association L214, sur son remarquable site, à propos des élections municipales des 23 et 30 mars :
    À Nîmes, un torero sur la liste EELV/Front de Gauche
« – Frédéric Pascal : matador de toros, banderillero durant vingt ans. Il a été secrétaire du syndicat des toreros français. » et « – Fabien Courtiel (Parti de gauche) : serveur, défenseur de la culture et de la tauromachie. » figurent sur la liste soutenue à Nîmes par le Front de Gauche et EELV. » Citant la source :
www.politique-animaux.fr/corrida/nimes-un-torero-sur-liste-eelv-front-de-gauche
    Le Front de Gauche a sollicité des représentants d’EELV sur sa liste pour les municipales. Ils ont accepté d’y figurer, et ce, malgré la présence — qu’ils ne pouvaient pas ignorer — d’un ancien matador et d’un défenseur de la tauromachie. Indignation, consternation, colère, colère, énorme colère… Trahison. Tout cela au nom d’une sacro-sainte « alliance » à fins électorales ? Comment ont-ils pu ? Emmanuelle Cosse, la secrétaire nationale, est-elle au courant ? Qu’en pensent les écologistes Yves Cochet, Cécile Duflot, Pascal Durand, Dominique Voynet, et beaucoup d’autres, anticorrida suffisamment sincères pour s’être engagés et avoir signé le manifeste abolitionniste du CRAC Europe, le savent-ils seulement ? La « base » a-t-elle été consultée ? Je n’en reviens pas. Déjà il y avait Noël Mamère (corrida, foie gras), puis José Bové, qui veut abattre les loups… Plus qu’un manque de cohérence pour l’ensemble du parti, cela pose un grave problème d’éthique. Comment peut-il y avoir de telles divergences d’opinion dans un même parti, sur un sujet aussi grave ? Au nom de quoi cela peut-il être accepté par les dirigeants ? Y a-t-il, sur cette même liste, des partisans du nucléaire, des OGM, des utilisateurs de pesticides ? Parions que non. Alors pourquoi dérailler ainsi sur le chapitre de la corrida ? Parce que ce ne sont après tout « que » des bovins, « que » des animaux ? Ses convictions tiennent donc à si peu de chose qu’EELV les renie si facilement, et presque en douce, ne s’en vantant évidemment pas auprès des militants et de son électorat ? Quelle bassesse…
    Mais on est à Nîmes, dans le Gard. Oui, et alors ? Jean-Marc Roubaud, UMP, a été élu député en 2002 dans ce même département, et même réélu en 2007, alors qu’il déclarait régulièrement être opposé à la corrida. UMP, dans le Gard… C’est pas un peu et même beaucoup la honte, pour EELV ? Les seuls, de tous les partis politiques, à vouloir améliorer vraiment le malheureux sort des bêtes se dégonflent par peur de ce qu’ils croient — à tort — être un contre-argument électoral. Et quand bien même ce le serait, bien que les deux élections de Roubaud prouvent le contraire, la détermination paie toujours plus que le renoncement. Ce manque de courage politique lamentable et méprisable s’apparente à de la complicité envers le monde de la tauromachie.
    Le décalage profond entre la rue et les politiques se confirme. D’ailleurs, nous, qui représentons « les anticorrida », demandons depuis longtemps un référendum pour la suppression de l’alinéa 7 du Code pénal. Il permet en effet, dans onze départements du sud de la France, soit 10 % du territoire — alors que dans les autres, c’est jusqu’à 30 000 euros d’amende et deux ans de prison ferme pour qui organiserait ces « spectacles » —, l’exception culturelle pour les corridas. Barbarie pour barbarie, ce même alinéa autorise aussi les combats de coqs dans le Nord. Un référendum s’impose, car il apparaît impossible qu’une proposition de loi soit enfin mise à l’ordre du jour à l’Assemblée nationale au cours de cette quatorzième législature — tout comme on a attendu vainement lors des gouvernements précédents. Et quand bien même ce serait le cas, il est peu probable qu’elle soit votée… Pourtant, l’urgence est là. Dans la rue, sur le terrain, la corrida suscite régulièrement de plus en plus de troubles à l’ordre public, une opposition citoyenne grossissante se fait entendre, une masse importante de militants, et aussi des familles, avec enfants, répondent à l’appel des associations Animaux en péril, CRAC Europe et Fondation Bardot.

    Bleu à l’âme. Mon bulletin de vote, paumé, fait la gueule. Il ne sait plus vers quelle urne se tourner.
Luce Lapin

• Photo Jérôme Lescure