Marc Giraud : « En France, on pense avec l’estomac »

Marc Giraud : « En France, on pense avec l’estomac »

La nature, les animaux, c’est sa spécialité. Écrivain, auteur de plus d’une vingtaine de livres, chroniqueur de radio et télé, et défenseur actif de la cause animale, Marc Giraud est, entre autres choses encore, vice-président de l’ASPAS, Association pour la protection des animaux sauvages, réputée pour son efficacité juridique et ses acquisitions d’espaces naturels qu’elle libère de la chasse. Une association libre pour des animaux libres ! Marc aime ce qui est beau, et son dernier bouquin, Les Animaux en bord de chemin, ce « petit coup de jumelles sur nos frères de planète… », ainsi qu’il me l’a dédicacé, magnifique, lui correspond bien. Comme dans son précédent livre, La Nature en bord de chemin, ce naturaliste a privilégié l’image. Chaque photo2 est forte, chaque légende la met en valeur : le texte la sert, et non l’inverse. Entretien avec un esthète.

Page 181 Crapauds accoupplement

Que montre ce livre et qu’y découvre-t-on ?
Il parle de tous les animaux que nous pouvons rencontrer dans nos campagnes et même en ville : les gros et les minuscules, les domestiques et les sauvages, sans aucune discrimination. Il nous fait prendre conscience qu’ils ont des émotions, qu’ils éprouvent visiblement du plaisir, par exemple quand ils jouent. Ils ressentent donc aussi de la souffrance, comme nous, et notre intérêt est de mieux les comprendre. C’est un ouvrage pour tous les publics, fourmillant d’informations étonnantes sur les animaux, bien sûr, mais c’est aussi un moyen de les montrer différemment, de les révéler tels qu’en eux-mêmes. Regarder les animaux pour ce qu’ils sont, c’est déjà une plongée dans l’extraordinaire : la mouche goûte avec les pieds, la sauterelle entend avec les pattes, le papillon sent avec les antennes, la chauve-souris voit avec les oreilles… L’humain reconnaît son chien à la vue, le chien reconnaît son humain au flair. Pour les comprendre, il faut d’abord connaître le monde dans lequel ils évoluent. C’est le but de ce livre : ici nous les regardons vivre, nous décodons leurs comportements, nous pénétrons dans leur univers. Réalisées par 40 photographes de terrain, plus de 700 images pétillantes de vie nous les montrent dans leurs activités quotidiennes : alimentation, jeux, parades nuptiales, bagarres, soins aux petits, communication gestuelle, etc.

Page 148 Vaches meneuse

Le respect de l’animal, quel est-il vraiment, ou, plutôt, quel devrait-il être ?
En France, on pense avec l’estomac : une vache, c’est d’abord un steak sur pattes. Or on peut rester des heures à observer un troupeau, à deviner qui est la dominante et qui est la meneuse (ce ne sont pas les mêmes), à décoder leur langage gestuel, le caractère de chacune. N’en déplaise aux tortionnaires industriels, les vaches sont des animaux sensibles, intelligents et même sensuels : elles adorent qu’on leur gratte le cou, avec une délectation communicative… On ne regarde encore les animaux que pour ce qu’ils nous apportent, ils sont juste du matériel à exploiter. Pour trop de cavaliers, le cheval n’est qu’une bicyclette biologique, qu’ils s’amusent à monter puis qu’ils remettent dans son box (c’est-à-dire sa boîte !), sans aucune considération pour ses besoins réels d’herbivore grégaire, terriblement malheureux s’il ne va jamais au pré avec des copains. Dans la plupart des centres équestres, on voit donc de pauvres bêtes ravagées de « tics », des mouvements répétitifs exactement semblables à ceux des taulards humains. D’autres subissent des blocages digestifs qui les conduisent souvent à la mort. Contre cette mentalité générale d’insensibilité et de brutalité aveugle, j’essaie de faire œuvre pédagogique. Respecter l’animal, c’est respecter la différence. Aux États-Unis, une étude a montré que dans les familles où l’on maltraitait les animaux, les enfants avaient plus de tendances au racisme…

Comment avez-vous construit ce livre ?
Comme dans le précédent, j’ai laissé la part belle à l’image. Je me suis servi de mon expérience d’auteur de commentaires dans l’audiovisuel : chaque photo est forte, et la légende qui l’accompagne en décrypte les messages secrets. Ce « guide pratique des comportements » concerne aussi bien des lecteurs qui ne connaissent pas les animaux que des naturalistes pointus dans tel ou tel genre, car il parle de tout : mésange, pie, chat, coccinelle, grenouille, chevreuil, etc., sans oublier bien sûr mon cher renard, l’animal symbolique de l’ASPAS, qui ne devrait plus faire partie des « nuisibles ». Cela fait trente ans que je me bats avec l’ASPAS pour le réhabiliter, et beaucoup de chemin a déjà été fait. Mais il en reste à parcourir…
Propos recueillis par Luce Lapin

aspas-nature.org

• Photos ASPAS, tirées du livre.

• Les Animaux en bord de chemin, éditions Delachaux et Niestlé, février 2015, 250 pages, 24,90 euros.