Chasse au loup : l’illégalité au pouvoir

Chasse au loup : l’illégalité au pouvoir

C’est grâce en partie à l’action juridique de l’Association pour la protection des animaux sauvages que la France a ratifié le traité de Berne, permettant ainsi à Canis lupus, loup gris, d’avoir, en 1996, le statut d’espèce protégée, donc d’être non chassable — du moins théoriquement… Or plusieurs dizaines d’individus ont déjà été abattus en France. Comment est-ce possible ? Pour Marc Giraud, « aujourd’hui, en France, on marche sur la tête… des loups, et de ceux qui les défendent ». Entretien avec le vice-président de l’ASPAS sur un massacre légalisé par voie de ministres de l’« Écologie » : Roselyne Bachelot en octobre 2004, Ségolène Royal aujourd’hui. À noter : l’ASPAS fait partie du collectif CAP Loup.

« Espèce protégée », c’est du bidon ?
Nous pouvons nous le demander, car le statut d’espèce protégée ne veut plus dire grand-chose. En Italie, on met en place des brigades pour lutter contre le braconnage ; en France, on paie une brigade pour tuer des animaux protégés ! Tant que les troupeaux ne seront pas correctement gardés, et nous avons prouvé qu’ils ne le sont pas, abattre des loups ne servira à rien. Les agriculteurs veulent l’éradication de l’espèce en France. Là, effectivement, ça sera efficace… jusqu’à ce que des loups colonisent à nouveau le pays en traversant les frontières.

Comment le loup en est-il venu à être protégé, et sur quels critères une espèce est-elle déclarée l’être ?
Si le loup est une espèce protégée en France, c’est à l’ASPAS qu’on le doit. En 1987, alors que l’espèce avait disparu de notre pays, un individu nous rend visite et se fait percuter par une voiture à Fontan, dans les Alpes-Maritimes. Les responsables de l’association s’aperçoivent que l’espèce n’est ni protégée ni chassable. Ils décident de lui donner un statut juridique, et, avec deux avocats, l’ASPAS intente un procès en 1989 à Nice. Grâce en partie à ce procès, la France ratifie le traité de Berne en 1990, ce qui permet au loup gris de devenir une espèce protégée en 1996 ! Il est grand temps, car l’animal recolonisait lentement la France depuis 1992.
Il n’y a pas de critères précisément définis pour déterminer quand une espèce doit être protégée. Toutefois, le code de l’environnement le permet « lorsqu’un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine naturel [le] justifient […] (L.411-1).

Protégée, l’espèce l’est-elle définitivement ?
Une espèce peut perdre ce statut simplement par un arrêté venant modifier celui qui la classe comme protégée. La France doit cependant respecter ses engagements européens (Directive « Habitats » de 1992, et Convention de Berne de 1979). Elle ne peut revenir sur le statut protégé du loup sans que ces textes soient changés. La Convention de Berne ne peut être modifiée qu’à la majorité des deux tiers des États signataires. Et la directive « Habitats Faune-Flore » ne peut l’être qu’à l’unanimité des États membres. Tout cela n’est pas facile à obtenir, et les promesses des politiques sur ce sujet, Ségolène Royal en tête, ne sont que démagogie trompeuse vis-à-vis des éleveurs.

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Sur quoi s’appuient les tirs ?
Les tirs actuels sont fondés sur les dérogations ouvertes par la directive Habitats et la Convention de Berne : des destructions sont possibles si elles ne mettent pas en péril les populations de loups dans leur aire de répartition naturelle, en cas de dommages importants (à l’élevage notamment) et en l’absence d’autres solutions satisfaisantes (c’est-à-dire si des attaques importantes subsistent malgré la mise en œuvre de mesures de protection des troupeaux).
Le droit français (code de l’environnement) intègre donc ces possibilités de dérogations, organisées par des arrêtés ministériels successifs — celui actuellement en vigueur étant l’arrêté ministériel du 30 juin 2015. En application de ce texte, ce sont les préfets qui autorisent différentes sortes de tirs :
— tir de défense (réalisé par l’éleveur ou un chasseur autour d’un troupeau).
— tir de défense renforcé (dix tireurs simultanés autour d’un troupeau).
— tir de prélèvement (durée d’un mois, sur plusieurs communes, réalisé en battue par les agents de l’ONCFS, les lieutenants de louveterie aidés de chasseurs).
— tir de prélèvement renforcé (durée de six mois, même hors de la présence de troupeaux ! Réalisé comme les tirs de prélèvements « simples », il peut de plus être accompli par les chasseurs à l’occasion de chasses au grand gibier en battue ou à l’affût/approche).
Ce sont les préfets qui, à coups d’arrêtés, les autorisent. Ils ordonnent désormais des tirs même lorsqu’il n’y a aucune brebis à protéger, ce qui est illégal ! Il ne s’agit donc plus de défendre les troupeaux, mais bien de chasse au loup. Ces tirs ont déjà fait baisser les populations de loups en France, qui sont passés de plus de 300 l’année dernière à quelque 280 cette année (contre 2 000 en Espagne, où n’existent pas tous ces problèmes !). Mais ces abattages ne calment en rien la violence des éleveurs antiloups, capables de séquestrer les responsables du parc national du Mercantour ou d’agresser de pacifiques défenseurs de la nature, comme le 9 novembre dernier à Balsièges, en Lozère. Ces éleveurs brutaux focalisent leurs problèmes sur le prédateur sauvage, mais ils taisent les difficultés réelles de la filière ovine. Juste un fait : chaque année, de 400 000 à 500 000 ovins de réforme sont envoyés à l’équarrissage, impitoyablement détruits sans même aller dans le circuit de la viande. Le loup est insignifiant comparé à telles pertes. De plus, environ 5 % des éleveurs encaissant 95 % des indemnités dues aux prédateurs, on peut se demander s’ils protègent bien leurs troupeaux, comme le veut la loi. Eh bien, beaucoup moins qu’ils ne le prétendent.
Début novembre, des bénévoles de l’ASPAS ont eu le culot de filmer ce qui se passait vraiment sur le terrain, en pleine zone à loups. Ils ont ensuite diffusé plusieurs de leurs vidéos sur Internet, et les images sont sans appel : les brebis sont retenues par des barrières ridicules qu’un teckel peut franchir, et elles sont livrées à elles-mêmes. Pas de berger, pas de chien de protection, rien. Pour prouver que ces négligences ne sont pas exceptionnelles, les militants de l’ASPAS ont filmé différents troupeaux dans plusieurs zones à loups dans la Drôme et dans les Hautes-Alpes. Au lieu de casser de l’écolo, les éleveurs feraient mieux de garder leurs troupeaux !

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Qui a autorisé les premiers tirs sur les loups ? Combien ont-ils été abattus depuis ?
Les premières dérogations ont eu lieu en application de l’arrêté ministériel du 12 août 2004. Roselyne Bachelot était alors ministre de l’Écologie. Le tout premier loup (en fait une louve de 19 kilos) a été légalement tué le 21/10/04 dans le Vercors (Drôme) par un agent de l’État. Depuis, des arrêtés ministériels, toujours plus permissifs, se sont succédé. À ce jour, 60 loups ont déjà légalement été abattus en France ! Et on ne compte pas le braconnage.
Le plafond de loups pouvant être abattus sans mettre la population (moins de 300) en péril, est, pour la saison 2015-2016 (du début juillet 2015 à fin juin 2016), fixé à 36. Mais, dans les faits, ce chiffre est considéré comme un quota à réaliser et non comme un plafond à ne pas dépasser ! Tout est mis en œuvre pour en abattre au moins 36 : multiplication des arrêtés de tir ordonnés par les préfets (28 tirs de prélèvement ordonnés depuis juillet, 755 tirs de défense en vigueur), embauche par Ségolène Royal d’une « brigade de tireurs », battues, tir de nuit avec phares, pièges photo, chiens spécialisés pour la traque du loup, autorisation de tir par les chasseurs au cours de leurs actions de chasse au grand gibier, etc.

Où en est l’ASPAS des actions judiciaires entreprises ?
L’ASPAS a contesté devant le Conseil d’État l’arrêté organisant les tirs de loup (arrêté ministériel du 30 juin 2015). Le contentieux est en cours. Elle a déposé plainte devant la Commission européenne (qui peut poursuivre la France devant la Cour de justice européenne en cas de violation de la directive Habitats). Elle avait également saisi le comité permanent de la Convention de Berne, mais celui-ci n’a pas estimé utile de poursuivre la France.
L’ASPAS conteste les arrêtés préfectoraux ordonnant des tirs de prélèvement devant les tribunaux administratifs. Mais l’arrêté ministériel est de plus en plus permissif, et cette action devient de plus en plus difficile…

Quelle obligation ont les éleveurs de protéger leurs troupeaux ?
L’État finance les mesures de protection (parc de regroupement, aides bergers, chiens de protection, parc de pâturage), mais les éleveurs ne sont pas tenus de souscrire à ce dispositif d’aide. Ils doivent être volontaires, ce qu’ils ne sont pas : leur mot d’ordre étant « accepter les mesures de protection, c’est accepter le loup ». De plus, ils sont indemnisés de leurs pertes dues au loup, qu’ils aient, ou non, mis en place des mesures de protection… Ils ne sont donc aucunement incités à le faire. Autre problème : il n’y a pas de protocole minimal de protection efficace. Ainsi, si l’éleveur met en place une clôture de regroupement (destinée à rassembler les moutons pour mieux les surveiller), elle ne sera d’aucune utilité s’il n’y a pas également un chien de protection au sein du troupeau. Le berger, s’il y en a un, va évidemment dormir la nuit, les brebis sont alors très vulnérables. Les regrouper ne sert à rien. De même, selon la taille du troupeau, le nombre et la qualité des chiens de protection sont des facteurs importants qui ne sont pas définis par l’État.

Le loup coûte-t-il cher à l’État ?
Toute bête dite « tuée par le loup » (si aucune autre cause de mortalité n’a pu être établie, une prédation est attribuée au loup par défaut !) est indemnisée selon un barème fixé par une circulaire. Les bêtes disparues et les pertes indirectes (un avortement, par exemple) sont également prises en compte. Le bilan des dommages attribués au loup est disponible ici (8 500 en 2014). Les éleveurs ovins touchent des centaines de millions d’euros de subventions de l’État pour exercer un métier en difficulté, on leur sort des arrêtés antiloup en pagaille, mais ils ne jouent toujours pas le jeu. Nous sommes en droit de leur demander des comptes, car il s’agit de l’argent de nos impôts.
La France est un pays formidable : l’État subventionne largement l’élevage de moutons, finance les mesures protection des moutons, indemnise les moutons tués, puis paie des tireurs de loups pour protéger ces moutons. Ce n’est pas le loup qui coûte cher, c’est le mouton !
Propos recueillis par Luce Lapin

Les vidéos des troupeaux non protégés sont sur YouTube
https://www.youtube.com/watch?v=3K2hlWgXaV8&feature=em-upload_owner#action=share

et https://www.youtube.com/watch?v=NKzsxTLiTC8&feature=youtu.be

ou sur le site de l’ASPAS
http://www.aspas-nature.org/communiques-de-presse/quand-le-berger-nest-pas-la-les-brebis-trinquent-video/

Pétition pour le loup : http://www.cap-loup.fr/actualites_cap-loup/objectif-100-000-signatures-pour-les-loups/

 Photos.
Exemple de troupeau non gardé en zone à loup : l’ASPAS
Les loups : Rémi Collange