Laurence Chamberland de Beauregard

Laurence Chamberland de Beauregard

En octobre 1989 meurt Lucienne Métin, présidente de l’APAN, Association de protection des animaux de la Nièvre, sise sur une fermette qui abrite, avec peu de moyens, ce qui va devenir le refuge de Beauregard. Quelque 60 chiens abandonnés sont attachés à la chaîne à des niches vermoulues. 

Il est courant que, lors du décès d’un parent, les enfants prennent l’héritage, mais laissent le chien ou le chat s’il s’en trouve. La fille de Mme Métin, Laurence, 26 ans, comprend tout de suite que les chiens sont condamnés, et qu’elle seule peut agir. Ce n’est pas un, mais 60 chiens, destinés à être tués, qu’elle va sauver du chaos, aidée par son compagnon, Éric, et son frère Didier. Laurence quitte son emploi, fait un emprunt. Trente-deux box de 10 m2 chacun sont construits, 49 chiens à l’adoption. À l’intérieur, des niches Igloo, qui protègent au mieux contre le froid, car les hivers sont très rudes dans le Morvan. Très vite, une chatterie (chauffée, elle) permettra de sauver de nombreux matous — une centaine aujourd’hui, dont des chatons, et aussi des vieux, qui vous y attendent.

En 1993, je fais la connaissance de celle qui, succédant à sa mère, a été élue présidente de Beauregard. On devient vite très proches, avec cette même vision de la protection animale. Laurence a « été » Beauregard toute sa vie de protectrice et de présidente. Depuis l’appartement qu’elle occupait au refuge, placé juste sous les box, elle dormait en pointillé, constamment angoissée. Elle y entendait « les gémissements du dernier abandonné », et ça lui était insupportable.

Par trois fois, depuis 1994, j’ai accompagné François Cavanna à Beauregard — un grand bonheur pour Laurence que cette rencontre. Il y a dédicacé ses livres au profit du refuge.

Il y a une quinzaine d’années, l’un de mes chats étant décédé, j’avais demandé à Laurence de me choisir celui qu’elle voudrait que j’adopte. Elle avait opté pour un jeune chat noir (bout des pattes, menton et plastron blanc) de 7 mois, baptisé Brandon par les bénévoles qui s’en occupaient — cette couleur étant la plupart du temps, encore de nos jours, considérée comme « portant malheur », les noirauds ont rarement la chance de partir. Un après-midi de juin, Laurence fait le voyage pour me l’amener. Je vais l’accueillir et la voit sortir de voiture avec… deux cages de transport. Soit, donc, Brandon, et… Tigri, même âge, un superbe chat gris, ressemblant comme deux gouttes d’eau à un chartreux. Je proteste (mollement), on avait dit juste un, comment se fait-il que… « Ah », me répond ma Laurence, « mais Tigri a entendu que son copain partait pour Paris, pourquoi je n’irais pas chez Luce moi aussi,  il a dit, alors il fait sa valise, et le voilà, tu vois ben ! ». Plus tard, dans la soirée, Brandon était planqué sous le lit (il y est resté huit jours, ne sortant que la nuit pour se nourrir, c’est courant chez les chats, il faut leur laisser le temps de s’habituer à vous tranquillement), tandis que notre Tigri découvrait l’appartement et les autres chats et venait chercher des caresses auprès de nous. « J’ai bien fait de l’amener », m’a alors dit la présidente de Beauregard en riant, « qu’est-ce qu’on se serait ennuyées… »

Beauregard

Depuis toujours, et on en parlait souvent, Laurence a « un rêve fou pour des locaux au poil » : des box chauffés, car les chiens, malgré les niches, souffrent du froid. Il y a tout juste un an, à force de se battre, de tempêter de tous les côtés, et grâce à une chaîne de dons incroyable — merci, grand merci encore à tous ceux qui y ont participé —, le rêve de Laurence est réalisé. Trente-deux box tout neufs, munis de lampes à infrarouge, chacune placée juste sous la corbeille du chien.

Atteinte d’un cancer, découvert en mars 2015 à un stade déjà avancé, Laurence « de Beauregard » — comme elle nommait les chiens, ainsi le célèbre « Balthazard de Beauregard », adopté après dix ans de refuge et à l’origine d’une chanson du même nom —  s’est éteinte lundi 7 décembre 2015 avant l’aube, incinérée, selon sa volonté, trois jours plus tard. Ses amis Joëlle et Serge l’ont aidée jusqu’à la toute fin… On était nombreux au funérarium de Nevers jeudi dernier, dans un froid glacial bien nivernais. La Fondation 30 Millions d’amis était représentée. Avec Didier, on a discuté longuement de l’avenir du refuge.

Lors de l’assemblée générale du 18 décembre 2015, Didier Chamberland Métin a été élu à l’unanimité président du refuge par le conseil d’administration. L’œuvre de Laurence et de leur maman va continuer. Didier, très présent et très actif au refuge, est plein de projets pour apporter des améliorations au bien-être des animaux de Beauregard. Il est secondé par une équipe formidable de salariés et de bénévoles, et par son conseil d’administration, qui, lui inclus, compte dix membres. Je m’y suis présentée avec plaisir et ai été élue ce même 18 décembre.

 Il est de bon ton de dire du bien de ceux qui ne sont plus, alors qu’on ferait mieux de leur prouver notre affection de leur vivant. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises d’assurer Laurence de mon affection et de mon admiration pour son combat envers les abandonnés et pour la stérilisation, pratiquée systématiquement à Beauregard (femelles et mâles). Tous les chats sont testés (FeLV et FIV, deux virus de l’immunodéficience féline), aucun n’est euthanasié si le résultat est positif. Malheureusement, tant que chiens et chats seront « des marchandises », 1 million de chiots continueront à naître chaque année et quelque 100 000 seront abandonnés — quant aux chats, on n’a même pas de chiffres. Et ce sera sans fin tant que, de surcroît, des particuliers irresponsables ne stériliseront pas. N’achetez pas, ADOPTEZ, STÉRILISEZ !

Quelque 49 chiens et une centaine de chats, dont une quinzaine de matous porteurs sains du FIV1, attendent, pleins d’espoir, une famille à Beauregard. Ne les décevez pas, pensez à eux!
Luce Lapin

  1. Le FIV, ou virus de l’immunodéficience féline, est transmissible uniquement entre chats, par morsures profondes ou par le sperme. La maladie ne se déclare la plupart du temps qu’après plusieurs années. J’ai adopté en juillet 2015 deux chattes à Beauregard, Tana, 13 ans et demi, et Inès, 5 ans. Ces chats sont adoptables uniquement en appartement.

Photo : son amie Karine, de Lille, qu’elle m’a offerte le jour des obsèques de Laurence, à Saint-Éloi.