Diesel, va chercher la baballe !

Que ce soit pour s’alimenter, se vêtir, se divertir — et, le plus souvent, pour ne pas dire toujours, quels cruels « divertissements… —, de tout temps, dans tous les domaines, la seule destinée des animaux, du moins telle que la conçoivent les humains, c’est de nous servir. De « donner » leur vie pour agrémenter, voire sauver la nôtre — disons plus exactement qu’on ne leur demande pas leur avis, on les y contraint avec plus ou moins de violence, selon les cas et l’objectif.

C’est donc tout naturellement que, dans les combats ou les tranchées, « chevaux, chiens, chats, ânes, pigeons…1 » furent utilisés, par millions, au cours de la Première Guerre mondiale. Les chevaux sont le plus lourdement touchés, mais bêtes et soldats partagent le même calvaire. On fait de ces animaux, qui n’ont rien demandé et qui s’en seraient bien passés, des « héros », malgré eux, certes, mais les humains ont ce besoin de magnificence pour se justifier et déculpabiliser, pour eux-mêmes ou pour autrui, et ce, quel que soit le nombre de « pattes ». Il arrive même que des chiens soient décorés, comme dans Le Collier rouge2.

Durant la Seconde Guerre mondiale, on envoie des chiens sous les tanks, équipés de bombes sur le dos bombes dont on déclenche l’explosion au moment adéquat. Attachés à leur maître, d’une extrême obéissance (naturelle et/ou forcée), les chiens sont particulièrement aptes à être dressés — pardon, on dit « éduqués », c’est moins violent et plus politiquement correct. Plus récemment, à Gaza, des ânes chargés d’explosifs furent un temps utilisés, mais vite remplacés par des humains, volontaires ceux-là, kamikazes jugés plus « efficaces » — c’est-à-dire que les attentats-suicides tuaient plus d’individus.

Le GIGN, Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, utilise des chiens détecteurs de mines. Le RAID, Recherche, assistance, intervention, dissuasion (police nationale), forme des chiens d’assaut — principalement des bergers allemands et des bergers belges — pour les accompagner dans les prises d’otages ou lors d’attentats, comme la malinoise Diesel (bravo pour le choix, le nom d’un moteur…), envoyée « en reconnaissance », euphémisme pour casse-pipe,  le 13 novembre 2015 dans l’appartement qu’occupaient les terroristes à Saint-Denis, histoire de voir si c’était dangereux. Ça l’était, elle y fut abattue. Brave bête, bonne recrue. Ces «utilitaires» sont éduqués par le jeu et récompensés à chaque bonne action. Leur travail est fondé sur une confiance réciproque homme/chien, et réciproquement — pour Diesel, ça n’a pas fonctionné dans les deux sens… Habitués durant les entraînements aux coups de feu, aux cris, à divers bruits, ils ne ressentent pas la peur. Alors, bien sûr qu’ils y vont, ils y vont joyeusement… Attention, même pour les toutous, champ d’honneur, la patrie reconnaissante, allez, hop ! une médaille. Et une larme de crocodile.

Un animal n’est pas une arme, un animal n’est pas un serviteur. C’est un être sensible, qui ressent la faim, la soif, le froid, la douleur, le stress, l’angoisse… Nous ne devons pas l’utiliser pour nos histoires d’humains. Nous n’en avons pas le droit moral. Simple question d’éthique.
Luce Lapin

1. Héros oubliés – Les animaux dans la Grande Guerre, de Jean-Michel Derex, éditions Pierre de Taillac (2014) (nombreuses photos). Préface d’Allain Bougrain Dubourg. Du même auteur, chez le même éditeur : Le Pigeon Vaillant – Héros de Verdun, qui était en fait une « Vaillante ». Pour enfants, illustré par Clément Masson.

2. De Jean-Christophe Rufin (roman), Gallimard (2014), Poche (2015).