« Antispéciste », c’est pas un gros mot

« Antispéciste », c’est pas un gros mot

Avant de commencer la lecture d’Antispéciste (éditions Don Quichotte, avril 2016), qui comprend exactement 478 pages (et je ne vous en dévoilerai volontairement que d’infimes bribes), il est impératif de vous munir d’un crayon de papier. Pourquoi ? Parce que, comme moi, vous aurez envie d’annoter toutes les pages (et pas question de l’abîmer !). Avec la fébrilité de la passion.

« Le droit des animaux, c’est le grand oublié des politiques, y compris chez les écolos » (Aymeric Caron au « Grand Journal », 27 avril 2016).

Vous vous attendez à ce que je fasse une critique « gentille » ? Je vais vous dire : c’est bien vu.

Aymeric Caron n’aime pas les animaux. C’est même la première phrase du bouquin : « Je n’aime pas les animaux. » Assurément, l’auteur de No steak (Fayard, 2003) n’est pas à ranger parmi les « chienchiens à sa mémère » — même si je n’ai rien contre lesdites mémères, qui ne font de mal à personne, contrairement aux tortionnaires d’animaux. Elles ridiculisent leur chien ? Mais le sens du ridicule est un ressenti humain, du pur anthropomorphisme, et importe peu. Fin de la petite digression.

Après vous avoir donné un bon exemple de la malhonnêteté d’une phrase sortie de son contexte, je reviens à la source. Il ne les aime pas, il fait mieux : « Je les respecte, tout simplement », se défendant par là-même d’une « sensibilité exacerbée à leur égard » — il aurait tout autant pu parler de sensiblerie, même si le mot est, à tort, moqué, méprisé. Tout est, effectivement, dans le respect (retenez bien ce mot, comme aurait dit Cavanna). Celui du vivant, quel qu’il soit. Alors, simples logique et cohérence, si on les respecte, si on respecte leur vie comme on exige, à juste titre, que le soit la nôtre, celle d’humains soi-disant « supérieurs », on ne peut pas prétendre parler de bien-être animal et les dominer, les exhiber, les dresser, les enfermer, les abandonner, les chasser, les pêcher, les toréer, les bouffer, les expérimenter, les dépecer pour leur fourrure, les harponner, les égorger, les brûler, les parquer… Les « anumanistes » s’y refusent.

C’est ça, l’antispécisme, c’est pas plus compliqué. L’antispécisme est tout à la fois une philosophie, un nouvel humanisme, et un combat social qui prône une écologie différente, essentielle. Ceux qui se revendiquent antispécistes ne sont pas des monstres qui haïssent les humains, comme se plaisent à le faire accroire, par trouille, leurs détracteurs. Ils s’opposent au spécisme — discrimination liée à l’espèce —, qui leur apparaît comme une injustice. L’auteur l’explicite avec simplicité, clarté et grande intelligence. On se fout de savoir qui est capable de démontrer le théorème de Pythagore (pas moi, en tout cas) ou de lire l’œuvre de Proust en retenant les plus longues phrases. L’antispécisme doit se substituer au spécisme, car tout être sensible, quel qu’il soit, ressent la souffrance, la faim, la soif, le froid, la chaleur, le stress, la peur, l’angoisse, et aussi le plaisir, la joie, est capable d’amour et sait connaître et reconnaître le simple état de bonheur. Et peu importe qui a le plus grand QI. Là n’est pas le sujet.

« Notre monde est fou car il a permis le règne des salauds. » De ceux qui ne sont capables ni d’empathie ni de compassion. Le fil qu’Aymeric Caron, révolté intransigeant, déroule tout au long de ce fabuleux essai est celui de l’« éthique animale », « à ne pas confondre avec l’éthique de l’environnement ». Cette éthique-là « s’interroge sur nos devoirs envers les animaux, non en tant qu’espèce, mais en tant qu’individus ». Ce livre est précieux. Il englobe tout. Et surtout ce qui m’apparaît depuis toujours comme le principal point de départ de l’antispécisme. Aimer, respecter, protéger, défendre les animaux : cela n’enlève rien à l’humain. C’est tout le contraire. Cela le magnifie.

Antispéciste ? Un cadeau, une formidable avancée dans un monde frileux, encore sceptique. Alors, simplement, et avec beaucoup d’émotion : merci, Aymeric.
Luce Lapin