L’Aïd-el-Kébir, c’est la fête du partage, pas la fête de l’égorgement !

L’Aïd-el-Kébir, c’est la fête du partage, pas la fête de l’égorgement !


Pour la si mal nommée « Fête du mouton », où ovins et bovins seront égorgés en toute conscience, sans étourdissement, selon les règles de l’abattage rituel, des abattoirs temporaires ont été installés. Les pouvoirs publics concernés auraient-ils dû en refuser l’autorisation ? Entretien avec Frédéric Freund, directeur de l’OABA, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs.

Nota bene. Au-delà de la polémique sur ces abattoirs temporaires, il ne peut y avoir d’exception à la loi, pour quelque raison que ce soit. Étourdissement à tous les étages !

Tout d’abord, une bonne nouvelle, arrivée cet été. Présentée par Jacques Lamblin (LR), Geneviève Gaillard (PS), Laurence Abeille (EELV) et quelque 70 autres députés, une proposition de loi ayant pour objet « l’abrogation de l’alinéa 2 ainsi que des alinéas 6 à 11 de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime » a été enregistrée le 20 juillet dernier à l’Assemblée nationale. Parce que « les animaux, au moment de l’abattage, ressentent douleur, détresse et peur, et que de nombreux animaux sont capables d’anticipation », elle propose « d’imposer, dans tout abattage, un étourdissement préalable à la saignée, réversible ou non ». Entre autres arguments, tous recevables […], « il s’avère que le nombre d’animaux abattus sans étourdissement est largement supérieur aux besoins des consommateurs de viandes consacrées et que ce surplus est réintroduit dans la filière conventionnelle. On estime ainsi à plus de 20 % le nombre d’animaux abattus selon des rites cultuels. Ainsi, paradoxalement, les consommateurs juifs et musulmans se voient imposer une viande issue d’animaux ayant souffert, alors que cela pourrait être évité, au moment de leur abattage, ce qui est contraire à leurs préceptes religieux ».

Et aussi, plus généralement, « en dehors de la question de l’étourdissement préalable, il convient d’améliorer la condition des animaux dans les abattoirs, lesquels peuvent encore être, en dépit des avancées constatées, des lieux de souffrance animale inacceptable. Cet objectif pourra être atteint en renforçant les contrôles dans les abattoirs, à toutes les étapes de la prise en charge des animaux, et en particulier au poste d’abattage. L’installation d’une surveillance par caméras de vidéosurveillance, au poste de saignée, sur le modèle de celles qui équipent les établissements sensibles, est une solution préconisée ». Un immense bravo à ces députés pour leur compassion et pour leur courage politique.

Cette proposition de loi prend aujourd’hui tristement tout son sens, pour l’Aïd-el-Kébir 2016 qui débute ce lundi. Comme chaque année, plus de 200 000 ovins et bovins seront égorgés sans être étourdis, en toute conscience, donc en grande souffrance (ces sacrifiés peuvent agoniser pendant quatorze minutes), ainsi que le permet cette dérogation (1964) à la loi qu’est l’abattage rituel — casher, pour la religion juive, halal, pour la religion musulmane. Pour ce qui nous intéresse ici, je vous rappelle, ou je vous apprends, que le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, qui fut président du CFCM, Conseil français du culte musulman, pendant plusieurs années, n’est pas opposé à l’étourdissement préalable à l’abattage. Notre république laïque permet à toutes les religions de s’exprimer, et la liberté de culte est précieuse dans une démocratie. Mais cette liberté s’arrête lorsque la pratique religieuse, la plupart du temps au nom de la sacro-sainte tradition, cause de la douleur à des êtres sensibles qui la ressentent, quels qu’ils soient, humains ou animaux, et quelle qu’en soit la nature. C’est aussi simple. Mais revenons aux abattoirs temporaires avec F. Freund.

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Que dit la loi ?
Depuis un arrêt rendu le 10 octobre 2001, à la suite d’une requête de l’OABA, les abattages de l’Aïd doivent se faire en abattoirs agréés par les services vétérinaires de l’État. La mise à disposition de terrains, de locaux pour abattre « à la ferme » est donc strictement interdite, et des sanctions pénales lourdes sont prononcées par les tribunaux correctionnels (jusqu’à six mois d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende). Seuls des abattoirs ayant un agrément sanitaire peuvent donc abattre les ovins (environ 200 000) et les bovins (environ 6 000) durant les trois jours de l’Aïd, qui se déroulera aux alentours du 12 septembre. Depuis plusieurs années, le nombre d’abattoirs est stable : 120 abattoirs pérennes (qui fonctionnent toute l’année) et une soixantaine d’abattoirs temporaires qui ne sont autorisés à fonctionner que durant les trois jours de l’Aïd, certains ne restant ouverts qu’une seule journée.

Les abattoirs pérennes sont donc assez nombreux ?
Les statistiques démontrent chaque année qu’ils suffisent à répondre aux besoins d’abattage durant ces trois jours. Les abattoirs temporaires ne seraient donc pas nécessaires. Mais la difficulté vient du fait que les musulmans veulent leur carcasse dès le premier jour de l’Aïd… Impossible dans ces conditions d’abattre autant d’animaux sur une seule journée. Les associations de protection animale comme l’OABA sont régulièrement interpellées sur l’existence de ces abattoirs temporaires, qui gèrent environ un tiers du volume des ovins sacrifiés durant l’Aïd (les bovins, essentiellement pour la communauté turque, étant tous abattus en abattoirs pérennes, compte tenu des infrastructures nécessaires au traitement des carcasses).

Quelles sont les conditions pour qu’un abattoir temporaire soit agréé ?
Ce sont les préfectures (DDDP, Direction départementale de la protection des populations, services vétérinaires) qui accordent, par voie d’arrêté préfectoral, l’autorisation d’abattre un certain nombre d’animaux dans ces structures temporaires (la plupart du temps, ce sont des chapiteaux et des chaînes d’abattage installées dans de longs containers), au vu du dossier de demande d’agrément qui doit être déposé trois mois avant la date de l’Aïd. Ce dossier prend en compte les exigences réglementaires liées à la protection de l’environnement (évacuation et récupération des eaux usées, des déchets), à la sécurité sanitaire (inspection des carcasses, hygiène lors de l’abattage) et à la protection des animaux : conditions d’hébergement, de leur amenée au poste d’abattage, dispositif d’immobilisation, agrément et compétence des sacrificateurs…

Ne pas s’y opposer pour éviter les abattages clandestins, « en plein champ » ?
Même si certains riverains et amis des animaux aimeraient les voir disparaître, il ne faut pas perdre de vue que, en répondant à la demande des musulmans, ils limitent le nombre d’abattages clandestins. Cette considération de salubrité publique explique d’ailleurs la jurisprudence administrative, de moins en moins encline à annuler les autorisations de fonctionnement de ces abattoirs temporaires.

Quant à l’absence d’étourdissement des animaux, systématiquement observée sur l’ensemble des sites d’abattages durant l’Aïd, rappelons le scandaleux arrêt rendu par le Conseil d’État, le 5 juillet 2013, à la suite d’une requête de l’OABA : « En prévoyant la possibilité de déroger à l’obligation d’étourdissement imposée aux établissements d’abattage par le I de l’article R. 214-70 du Code rural et de la pêche maritime, le pouvoir réglementaire a entendu définir le champ d’application de cette mesure de protection dans le respect de la liberté de culte et de croyance garantie par la Constitution ; que la dérogation [à l’obligation d’étourdissement des animaux] ne peut davantage être regardée comme autorisant “un mauvais traitement” » ! Fin de l’entretien.

Chaque jour, en France, 3 millions de mammifères et d’oiseaux — soit plus de 1 milliard par an — sont abattus pour la consommation, alors qu’il est possible de ne plus manger d’animaux, ni de produits qui en soient issus, et de rester en bonne santé, grâce à des repas équilibrés composés de protéines végétales. Bœufs, moutons, chevaux, agneaux, poulets, cochons, chevreaux, dindes, poulains, canards, veaux, etc., êtres sensibles, sont des individus à part entière. Leur vie leur appartient, ils ne sont pas… « de la viande » ! Moralité…

Ni abattage rituel, ni abattage tout court!

couv-animaux-islam• À lire impérativement! On le trouve sur le site de Droits des animaux (actuellement en promotion).
Luce Lapin

Photos OABA