Sa vie de petite fille: un conte de fées…

… mais sans les fées

Ni chien, ni chat, ni oiseau, « parce que c’est sale et que ça fait du bruit », lui serine Marâtre, aussi bête que méchante. Sale comme les cheveux longs, c’est pourquoi ceux de Poulette, comme la surnomme son papa, qui lui donne de temps à autre, quand même, un peu d’affection, sont coiffés « à la Jeanne d’Arc »: un bol sur la tête, et on coupe autour. Elle est à peine âgée de 10 ans quand Marâtre, aussi bête que méchante, balance dans les WC, rien que pour lui faire de la peine, le seul animal admis dans la maison: un vieux poisson rouge (silencieux et propre) qui tourne avec application dans son bocal depuis des années.

Marâtre tire la chasse. Oscar disparaît, emporté dans le tourbillon. Terrorisée par Marâtre, sous le choc, Poulette ne proteste même pas. Elle exprimera sa peine et son désespoir plus tard, seule, dans sa chambre. Son refuge. Et demandera pardon à Oscar de n’avoir pas pu, pas su le protéger.

Lors d’une de ces sinistres promenades du dimanche, jour maudit où elle s’ennuie tellement car il n’y a pas école, son père et Marâtre, aussi bête que méchante, l’emmènent à la SPA de Gennevilliers, comme ça, « en visite », juste pour passer le temps. Coup de foudre pour un berger allemand — déjà, elle connaît toutes les races, grâce à sa bible, Le Guide marabout des chiens. Elle en rêve, du gros, de toutes ses forces. S’il arrivait malheur à Marâtre, aussi bête que méchante, elle réussirait bien à convaincre son père. Mais, déjà athée, elle ne peut même pas espérer un geste de là-haut. Nous ne saurons pas ce qu’est devenu le berger. Elle y pense encore, et le revoit tournant dans son petit box.

Elle vole de l’argent dans le porte-monnaie de Marâtre pour acheter Hara-Kiri, puis Charlie Hebdo. Comme c’est toutes les semaines, elle vole toutes les semaines, c’est pas sa faute. Elle se jette sur l’édito de Cavanna, « Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu, mais j’en ai entendu causer… », et même, comprend tout. Quand elle sera grande, elle se mariera avec lui, et ils feront le journal ensemble. Et ils auront plein d’animaux dans leur grand jardin.

Elle a l’âge qu’on lui donne, divisé par 7 — et non multiplié, à l’inverse des chiens.

Aujourd’hui, Poulette s’est bien rattrapée, et a une vague idée de ce qui peut se rapprocher du bonheur. Elle a les cheveux longs, et plein de Puces. À la fois chez elle, mais aussi, depuis mai 1993, tous les mercredis, dans Charlie Hebdo, en vente en kiosques et chez tous les bons marchands de journaux, 3 euros.
Luce Lapin