Aïd-el-Kébir : la République ne tourne pas rond
Bernard, un lecteur du sud de la France, est agriculteur et éleveur bio. Il s’est rendu le 15 octobre 2013, premier jour de l’Aïd-El-Kébir, sur un site non agréé — donc clandestin. La contention mécanique avant l’égorgement, obligatoire sur les sites agréés par les préfectures (si toutefois la loi est respectée, ce qui n’est pas toujours le cas), n’est pas appliquée sur les sites clandestins, comme l’exige la loi : « Art. 12 du décret du 1er octobre 1997 : Avant l’abattage rituel, l’immobilisation par un procédé mécanique des animaux des espèces bovine, ovine et caprine est obligatoire. L’immobilisation doit être maintenue pendant la saignée. Art. 2 de l’arrêté du 12 décembre 1997 : L’immobilisation des animaux doit satisfaire aux dispositions énoncées en annexe II du présent arrêté. Dans le cas de l’abattage rituel, l’immobilisation des animaux des espèces bovine, ovine et caprine doit être assurée au moyen d’un procédé mécanique appliqué préalablement à l’abattage et maintenu jusqu’à la fin de la saignée. Il est interdit de suspendre un animal vivant et lorsqu’il est encore conscient (méthode souvent pratiquée notamment pour les moutons) » — sur www.oaba.fr, le site de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, OABA.
Photoreportage de Bernard, avec tous mes remerciements.
«Comme convenu ce matin, jour de l’Aïd el Kébir 2013, je suis allé voir si la République tournait rond. Voici quelques-unes de mes observations.
Le coût de la laïcité
L’année dernière, en 2012, la préfecture du Gard, le syndicat ovin du Gard et la chambre d’agriculture avaient organisé, en relation avec les mosquées locales, ladite “Fête de l’agneau”, avec un recensement auprès des éleveurs, leur demandant combien d’animaux ils souhaitaient vendre à cette occasion. J’avais répondu que dans une République laïque il n’était pas du ressort des pouvoirs publics d’organiser une fête religieuse et que, étant agriculteur bio, je ne souhaitais pas que mes animaux soient égorgés vivants. Donc je n’ai vendu aucun animal à cette occasion.
Cette année, en 2013, dans la lettre de recensement, seul apparaît comme organisateur le syndicat ovin (la chambre et la préfecture agissant, tel Zorro, masquées…), mais les réunions préparatoires en mode silencieux se tiennent toujours en préfecture. Ô surprise, les photos que tu as publiées sur le site de Charlie Hebdo en 2012 étaient sur la table du préfet et ont été vues par tous les membre présents. Immédiatement et unanimement, je suis devenu, de défenseur de la cause animale, un suppôt du Front national !
Nouveauté! Des tarifs de vente très attractifs, de 170 euros à 240 euros par agneau (soit deux à trois fois supérieurs aux cours normaux), étaient proposés aux éleveurs gardois, les encourageant ainsi à conserver le maximum d’animaux pour cette occasion. Eh oui, les valeurs laïques et humanistes qui me motivent ont un coût, car je vends en moyenne mes agneaux bio abattus selon la réglementation 110 euros…
La face cachée de la lune
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Trois sites d’abattage officiels sont proposés, à cette occasion, à nos concitoyens musulmans avec la bénédiction des autorités. Or, d’après le technicien de la chambre d’agriculture, à l’occasion de l’Aïd 2012, sur ces trois sites furent abattus environ 2000 agneaux dans des conditions quelquefois extrêmement douteuses (voir les photos prises l’année dernière), tandis que sur le département du Gard, d’après les besoins des intéressés, entre 13 et 15000 agneaux furent abattus dans la clandestinité.
Un ami m’ayant prévenu que ma présence sur le site officiel d’abattage de Vestric et Candiac, que j’avais photographié l’année dernière, n’était pas la bienvenue, je me suis donc intéressé cette année à la filière clandestine, avec en amont une visite dans un élevage où, comme tu pourras le constater sur les photos, les animaux partent dans les coffres des voitures, les pattes attachées, alors que la directive de recensement précise : «Il est rappelé que la réglementation interdit tout transport d’animaux vivants dans des véhicules ou bétaillères non adaptés ou attachés par les pattes dans le coffre. Les services de l’ordre peuvent verbaliser tout transport non réglementaire.» Or je n’ai rencontré lors de mon périple aucune camionnette de gendarmerie.
Je me suis ensuite rendu sur un site d’abattage clandestin, où, là aussi, la maréchaussée brillait par son absence. Or je n’appartiens pas aux RG, je ne suis pas l’inspecteur Wallander, et pourtant j’ai pu observer bien des dérapages à notre belle réglementation en quelques heures de promenade. Je pense qu’on ne peut que constater une certaine complaisance des services de l’État dans toutes ces dérives. » FIN
Photo 1. À la ferme : on ligote l’agneau au sol.
Photo 2. À la ferme : chargement dans le coffre de la voiture.
Photo 3. Dépeçage de l’agneau attaché avec des ficelles à ballot à la grille d’une fenêtre d’une maison abandonnée.
Photo 4. Élimination des traces : on brûle dans un feu de bois les pattes et la tête de l’animal ainsi que ses boucles électroniques d’identification.
L’éleveur donne à chaque client le document de circulation obligatoire, mais le client, lui, oublie de conduire son animal à l’abattoir… Cherchez l’erreur.