L’ours polaire au tableau de chasse du WWF
Photo : Ansgar Walk
L’ours blanc est menacé par la fonte de la banquise et la chasse. Compter 75 000 dollars pour une peau. Problème : le WWF, dont l’emblème est le panda, refuse d’attaquer les chasseurs. Pourquoi ? Parce que.
L’affaire de l’ours polaire fout le bordel entre le WWF et les écologistes de terrain. Le bel animal n’en peut plus : il en resterait entre 20 000 et 25 000 sur la banquise arctique et alentour. Une banquise qui a pu atteindre 15 millions de km2 au maximum de l’hiver, et un peu plus de 3 millions de km2 au cœur de l’été 2012. Plusieurs menaces, dont le dérèglement climatique, pourraient mener l’espèce au bord de l’extinction.
On s’agite ? Un peu. Dans quelques semaines, les bureaucrates de la nature se retrouveront à Bangkok pour une énième réunion de la CITES, qu’on appelle aussi Convention de Washington. Pour l’ours blanc, l’enjeu est essentiel, car les États-Unis, appuyés miraculeusement par les Russkoffs, proposent de placer l’ours dans l’Annexe 1, sommet de la protection. En théorie, le commerce international des parties de l’animal serait interdit. Un ours polaire naturalisé adulte se vend 40 000 euros à Paris, et beaucoup plus encore en Russie ou en Chine, où une simple peau peut atteindre 74 000 euros.
La situation est à ce point limpide que toutes les associations de protection de la nature devraient être sur le pont. Ne serait-ce que pour pousser au cul notre gouvernement, dont la voix à la réunion de Bangkok pèsera lourd. Mais, pour l’heure, la France refuse de soutenir les Amerloques et pense pouvoir se planquer en choisissant bravement l’abstention. La désunion écologiste ne va pas arranger les choses.
Résumons ce qui semble un beau mystère. D’un côté, treize associations sont réunies pour aller au baston1, parmi lesquelles Sea Shepherd, l’ASPAS, la LPO, Robin des Bois. Elles soutiennent sans surprise l’inscription de l’ours blanc à l’Annexe 1 de la CITES. En revanche, d’autres poids lourds, comme Greenpeace, France Nature Environnement (FNE) et le WWF font semblant de ne pas être concernés. Ce dernier notamment — le WWF — risque d’en prendre plein la tronche publiquement, ce qui serait une grande première.
Personne ne souhaite encore sortir sous la mitraille, mais en off c’est le grand dégueulis, au point que Charlie est obligé d’édulcorer pour éviter un procès en diffamation. En résumé, le WWF s’oppose avec ses petits bras à la proposition américaine de protection, avec des arguments que l’on qualifiera prudemment d’étonnants. Visite sur le site du WWF2, où un pauvre ours polaire, par la grâce d’un effet graphique, souffle de la vapeur d’eau. Ça chiale direct, car « leurs jours sont comptés » et « 1 499 ours polaires ont disparu depuis le 1er janvier 2009 ». Mais, à condition de refiler 30 euros au WWF, la lutte contre le réchauffement de la banquise sera en de bonnes mains. Une belle manière de gagner des sous, qui rend hystériques de nombreux militants historiques de l’écologie.
L’un d’eux résume ainsi la situation pour Charlie : « C’est vraiment dégueulasse. Le WWF se remplit les poches en parlant de réchauffement climatique, contre lequel il ne peut évidemment rien. Et refuse la protection de l’ours réclamée par les Américains, en se taisant sur la chasse et les trafics internationaux qui en découlent. C’est la honte, et l’exaspération contre ces mecs est en train de monter partout. Je ne suis pas le seul à en avoir plein le cul, du WWF. »
Malgré les apparences, parole modérée. Mais voici déjà la séance explication. Un, la chasse légale zigouille entre 600 et 800 ours par an, ce qui est énorme au regard du nombre de survivants. Pourquoi le WWF refuse-t-il de mettre en cause les porteurs de flingue ? Il n’est pas interdit de se replonger dans l’histoire de cette très curieuse ONG. Fondé en partie par des grands chasseurs d’animaux sauvages en Afrique — qui voulaient continuer à butter éléphants et gazelles —, le WWF n’a cessé de maintenir des liens puissants avec cet univers. Pour ne prendre qu’un exemple, le roi d’Espagne, Juan Carlos, est resté président d’honneur du WWF jusqu’à l’été dernier, alors qu’il avait été chopé à trucider des ours en Roumanie et des éléphants en Afrique.
Donc le WWF aime les chasseurs. Mais est-ce bien tout ? Juste avant que la barque ne coule, encore deux bricoles. Un, le WWF est mutique sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais mutique. Y aurait-il un lien — hi, hi ! — avec les nombreux financements venus de l’industrie ? Deux, le WWF vient de prendre un joli tournant en France, en embauchant deux nobles personnages. Nouveau directeur général : Philippe Germa. C’est un banquier venu d’une entreprise transnationale d’origine néerlandaise, ABN AMRO. Nul besoin de détailler les belles activités d’une telle boîte. Nouveau directeur des programmes : Christophe Roturier. Il a longtemps travaillé en Afrique, dans les « équitables » échanges de cacao entre la France et des pays comme la Côte d’Ivoire. Il a également bossé pour l’un des fleurons de l’agriculture la plus industrielle qui soit, ARVALIS-Institut du végétal.
Moralité ? Y en a pas. Un dessin circule en ce moment dans les associations écologistes authentiques. On y voit un panda — symbole du WWF — sur la banquise, en train d’abattre au fusil un ours polaire.
Fabrice Nicolino
Rappel : Fabrice vient de publier Un empoisonnement universel. À lire absolument!
1. www.bioaddict.fr/article/13-associations-s-unissent-pour-la-protection-des-ours-polaires-a3669p1.html
2. WWF