L’histoire de Py
Il y a dix jours, sous les platanes de la prairie du petit lac à quelque 800 mètres de chez nous, mon regard est tombé soudain sur un oiseau sautillant dans l’herbe.
J’ai d’abord songé à une poule d’eau, mais un peu loin du lac, pour finalement découvrir une jeune pie incapable de voler. En cette fin d’après-midi, mon mari et moi avons pensé que si nous la laissions en cet endroit sans branches basses où se percher elle deviendrait rapidement la proie d’un prédateur. Écourtant la balade avec Louis, mon petit-fils, et sa copine Morgane, nous l’avons alors ramenée à la maison.
Un premier nid dans la boîte du chat (ironie du sort), puis des questions sur le Net pour savoir comment on devient la mère provisoire d’une jeune pie, avant de me lancer dans l’aventure. Comme indiqué par les amis des bêtes, j’ai fait tremper des croquettes pour chat (encore lui !), puis j’ai tenté de lui donner la becquée, pas facile au début, jusqu’à ce qu’elle finisse par réclamer en caquetant et en ouvrant grand son bec. Elle est restée dans sa boîte, puis nous l’avons un peu sortie dehors, un petit fil à la patte, ce qui a, je pense, permis à ses parents de la repérer, car, très vite, nous avons observé des pies jacassant au-dessus de nous. Mais comme nous avons souvent des pies dans les parages, difficile de dire s’il s’agissait de ses parents.
Après la première nuit, j’ai décidé de la laisser libre dans la salle de bains, afin de la mettre à l’abri du chat (et du chien) et d’avoir plus d’espace pour éventuellement recommencer ses essais de vol. Pendant plusieurs jours, j’ai pris ma douche avec Py, original ! Elle a commencé à sortir seule de sa boîte-nid, puis à se percher sur la chaise et les porte-serviettes, à manger de mieux en mieux ses croquettes et des morceaux de fruits, dont les petites fraises des bois du jardin. Elle écoutait quand je lui parlais et caquetait pour manger, car elle n’y arrivait pas encore toute seule.
Un peu plus tard, nous avons décidé de la déménager pour qu’elle puisse entendre les pies de l’extérieur et vivre au rythme de la nature. Nous avons alors transformé le balcon de la chambre (à l’étage) en territoire de Py, avec plantes et filet protecteur, et toujours sa boîte-nid garnie d’herbes. Elle sautillait, se perchait et commençait à manger seule. Dans le même temps son plumage devenait plus caractéristique de la pie et sa queue s’allongeait un peu. Elle étendait ses ailes, voletait et nous sentions qu’elle serait bientôt prête à partir.
Hier, devant la maison, nous avons fait une curieuse observation : chat était accroupi dans un coin, encadré par deux pies, tournant la tête vers l’une et vers l’autre, et ne bronchant pas. Elles sont restées un moment autour de lui. Je me suis aussitôt demandé si elles étaient les parents de Py.
Enfin, ce matin, sous le soleil, les parents de Py sont venus se percher sur le balcon puis ont volé vers l’arbre en face. Nous avons levé le filet protecteur, Py s’est perchée comme une grande sur le rebord du balcon et a pris son envol pour rejoindre papa maman dans le platane. Elles sont restées un moment, nous les apercevions dans les branches, puis d’un arbre à l’autre, jusqu’à ce qu’elles s’envolent vers ailleurs.
Dix jours après sa chute, ou sa tentative manquée de vol, et à plus de 800 mètres de son nid, ses parents, qui, sans doute, ne l’ont jamais perdue de vue, sont venus la chercher, et elle était prête. Une belle histoire ! Au moment où j’écris, Py est perchée dans l’arbre face au balcon.
Isabelle Nail
Auteure (romans, théâtre, essais)