Les fourmis : 1 milliard de milliards de pépiniéristes
Le naturaliste de terrain qu’est Marc Giraud s’intéresse, entre autres, aux fourmis — y compris à celles qui volent. Un entretien passionnant avec le vice-président de l’ASPAS, Association pour la protection des animaux sauvages.
Combien y a-t-il d’espèces de fourmis ?
On a recensé 216 espèces de fourmis en France métropolitaine, environ 12 000 dans le monde, mais il en existe certainement beaucoup plus, qui restent à découvrir. Leur nombre pourrait totaliser, selon l’entomologiste C. B. Williams, un milliard de milliards d’individus ! Les fourmis ne sont donc globalement pas en voie de disparition. Cependant, certaines espèces sont vulnérables à cause de la disparition de leur habitat et du réchauffement climatique. D’autres sont menacées par la concurrence avec d’autres espèces. Ainsi, la fourmi d’Argentine a envahi l’Europe, avec des nids reliés en une super colonie de plusieurs milliers de kilomètres.
Quel rôle écologique jouent-elles ?
Les fourmis sont des pépiniéristes. De nombreux végétaux leur offrent des « bonbons ». Ainsi, les violettes, les primevères ou les anémones sauvages des sous-bois possèdent des éléments comestibles qui les attirent. Au cours de leurs déplacements, celles-ci mangent la partie sucrée et délaissent la graine trop dure, qu’elles abandonnent et leur permettent de germer. Les plus grosses colonies peuvent consommer autant de matière végétale qu’une vache adulte ! Une colonie de fourmis rousses, qui contient quelque 10 000 individus, véhicule en une saison au moins 36 000 graines et plus de 200 000 proies. Les espèces plus carnivores limitent également des populations d’insectes qui, sans cela, pulluleraient. Elles jouent également un rôle de nettoyeuses de la nature en éliminant les insectes morts.
Fourmis rousses se régalant des « bonbons » fournis par une vesce commune (photo Marc Giraud).
Une fourmilière est aussi un vrai écosystème à elle toute seule. À l’intérieur, certains animaux vivent aux crochets des habitantes. En France, il existe de petites araignées mimétiques des fourmis, qui ont la même silhouette, la même démarche et la même odeur. Un coléoptère, la loméchuse, émet des substances qui saoulent littéralement les fourmis. Celles-ci s’en délectent jusqu’à l’overdose, et finissent par délaisser leur travail. Un comble pour des fourmis ! D’autres transportent dans leur nid une chenille pourvoyeuse de friandises et vont jusqu’à lui sacrifier leurs propres larves pour la nourrir. La chenille se métamorphose dans leur abri pour donner un azuré, un de ces beaux petits papillons bleus assez communs dans nos campagnes, mais dont on ne connaît pas l’histoire… Les fourmis aiment les lèche-bottes : en échange de nourriture, certains coléoptères leur font des léchouilles dont elles semblent raffoler.
Les fourmis elles-mêmes servent de nourriture à de nombreux animaux. Les crapauds en sont de grands consommateurs, ainsi que les grands pics. Munis d’une longue langue gluante de tamanoir, les pics verts sont de véritables fourmiliers volants.
Comment définir les fourmis volantes ?
En ce moment, nous pouvons être témoins d’un impressionnant spectacle de la nature : de grands vols de fourmis ailées. Les individus qui portent des ailes sont les mâles et les femelles sexuées, les ouvrières n’en sont pas dotées. Il s’agit donc de la grande fête sexuelle de la fourmilière, toute la colonie s’agite dans une effervescence indescriptible.
Fourmis volantes (photo Marc Giraud)
Le vol nuptial a souvent lieu un soir chaud et orageux. Il permet à toutes les colonies de la même espèce de sortir au même moment, donc aux partenaires sexuels de différents lieux de se rencontrer et d’échanger leurs gènes. Selon l’espèce, les accouplements ont lieu en plein vol ou au sol. Les mâles meurent peu après. Les femelles peuvent avoir un ou plusieurs partenaires, et conserveront leur semence toute la vie dans une spermathèque. Une fois fécondée, la future reine s’arrache les ailes ou les perd, les muscles de vol serviront de réserves internes d’énergie. Puis, seule ou avec des ouvrières (toujours selon les espèces), elle fonde une colonie, parfois dans une fourmilière déjà existante, où elle prend le pouvoir. Sinon, elle pond, mange parfois quelques-uns de ses propres œufs pour s’alimenter, et se fait aider petit à petit par ses premières filles pour assurer la recherche de nourriture et s’occuper des larves suivantes et des différentes tâches vouées au fonctionnement de la fourmilière.
Propos recueillis par Luce Lapin
• Marc Giraud a publié en février 2015 Les Animaux en bord de chemin (Éd. Delachaux et Niestlé).
• Photo de « une » : fourmi rousse prise par l’entomologiste belge Claude Galand.