Alice Rallier : «Un combat de coqs, c’est laid, sale, vulgaire… et misérable»
En Belgique, les combats de coqs sont interdits depuis 1929, et les organisateurs de combats, de fait illégaux, très sévèrement sanctionnés. En France aussi les mauvais traitements aux animaux sont punis par la loi — article 521-1 du Code pénal. Leurs tortionnaires risquent une amende de 30 000 euros et deux ans d’emprisonnement. Elle est très bien, cette loi. Sauf qu’il suffit d’un alinéa, aujourd’hui le 7 (anciennement 3, puis 5), à cet article pour autoriser sévices graves et actes de cruauté sous couvert de « tradition locale » : la corrida dans le Sud, les combats de coqs dans le Nord. Alice Rallier, militante dans la protection animale, a enquêté dans le « milieu » des coqueleurs — ceux qui pratiquent les combats de coqs.
Comment se déroule un combat ?
Deux coqs sont placés sur une sorte de petit ring surélevé et entouré d’un grillage d’environ 70 cm, surmonté d’une grosse ampoule qui s’allume et s’éteint pour annoncer le début et la fin d’un combat. Les coqs commencent par se regarder, mais, les secondes passant, stressés et excités par l’environnement dans lequel ils se trouvent, ils finissent par se poursuivre, puis par s’en prendre l’un à l’autre. Comme ils sont drogués et équipés pour blesser profondément leur adversaire, ces animaux, déjà impressionnants au départ, se livrent à une lutte d’une grande violence, en se frappant à coups de bec, et surtout de pattes. Au bout de six minutes, fin du temps réglementaire, l’un des deux coqs est mort ou agonisant.
Si aucun des coqs n’est sans vie au bout de ce temps, soit ils sont représentés l’un à l’autre après un temps de repos, soit le match est considéré comme nul et on passe à la paire suivante.
Le coq perdant est amené « à l’égouttoir », sorte d’entonnoir métallique fixé à un mur au-dessus d’un seau, le plus souvent à l’abri des regards (mais pas toujours), et égorgé. Il peut ensuite être vendu quelques euros et mangé. Sur le ring, deux autres coqs sont à leur tour mis l’un en face de l’autre, et les combats s’enchaînent ainsi sur plusieurs heures.
Quelle durée peuvent-ils atteindre ?
Un des records aurait eu lieu à Bouvignies en 1998 : plus de 120 paires de coqs (soit 240 animaux !) se seraient affrontés, sur 28 heures de combat d’affilée. En moyenne, « on bat » (c’est l’expression qu’emploient les coqueleurs) une dizaine de coqs à l’heure. Les coqueleurs belges, qui ne peuvent pas pratiquer légalement en Belgique, où les combats de coqs ont été interdits, n’hésitent pas à se déplacer dans les gallodromes (lieux où les combats de coqs ont lieu) français avec plusieurs dizaines de coqs. Le massacre est estimé entre 10 000 et 50 000 animaux par an.
Quels coqs utilise-t-on ?
Ce ne sont pas les coqs de basse-cour qu’on a l’habitude de voir. Ils appartiennent à une race spéciale, le « combattant du Nord », que l’on n’a de cesse de « perfectionner » pour qu’elle donne les individus le plus agressifs possibles. Ces animaux, qui pèsent plusieurs kilos, sont très impressionnants. Comme tous les coqs, et comme beaucoup d’animaux mâles en général, ils supportent mal la rivalité avec les autres coqs. Dans la psychologie du coq, il y a en effet le désir de régner sur toutes les poules, et la présence d’un autre coq est perçue comme une agression. Cela dit, même s’il y a une base naturelle à l’agressivité qu’un coq peut éprouver envers l’un de ses congénères du même sexe, tout est fait pour exacerber cette agressivité au maximum, par les procédés les plus vils.
Où sont-ils élevés, et dans quelles conditions ?
Il existerait environ 4 000 élevages de coqs dits « de combat » dans la Région Nord – Pas-de-Calais, de confort et de propreté très variables. Certains, très « beaux » et bien tenus, sont dans des petites maisons individuelles grillagées, à l’abri du vent et de la pluie. Mais beaucoup d’autres sont enfermés dans des cages d’une crasse insoutenable, ou confinés dans des tonneaux posés à même le sol, bouchés par une planche de bois, dans le noir. Dans tous les cas, les conditions ne sont pas des conditions de vie naturelles pour un coq, animal qui est fait pour avoir des congénères autour de lui, passer du temps à chercher sa nourriture dans les herbes, se percher pour chanter le matin, etc. Dans son box ou sa cage, le coq n’a rien d’autre à faire que manger, boire et tourner en rond. Cela ne favorise pas sa sociabilité envers ses congénères.
Certaines municipalités accordent des passe-droits à certains éleveurs et les autorisent à avoir des élevages de coqs en plein centre-ville, chose normalement interdite en raison des nuisances causées par ces animaux, qui ont un cri très puissant, sans parler du risque que l’évasion de l’un d’entre eux ferait éventuellement courir aux autres animaux (chiens, chats). Les coqs subissent des mutilations, notamment de la crête, pour les préparer au combat.
« Le coq a une réaction de stupeur, puis d’agressivité »
Décrivez-nous les différentes phases de préparation d’un combat.
Le jour du combat, le coq est placé dans un panier en osier ou en bois (avec des trous pour respirer), opaque, car, selon les coqueleurs, si le coq voyait un autre coq à travers son panier, de fureur, il ferait une crise cardiaque. En réalité, il s’agit de maintenir le coq éloigné de ses congénères le plus longtemps, afin que le choc psychologique soit le plus grand possible lors de la confrontation sur le ring. Arrivé au gallodrome, le coqueleur sort le coq du panier, et, à l’aide d’un « armeur », prépare le coq au combat : il lui fixe une longue pique (dont la longueur légale maximale est de 52 mm, soit plus de 5 cm) sur chaque ergot, ceci afin de blesser plus profondément l’adversaire. Il lui fait ensuite avaler quelques gouttes d’un liquide destiné à le rendre encore plus « combatif » (car la honte du coqueleur, c’est d’avoir un coq qui fuit le combat), un mélange d’alcool à 90° et d’un produit connu sous le nom de « Démézan » (un nom « bidon », selon ma source), que l’on se procure à la pharmacie locale.
Le combat a lieu comme décrit plus haut. Le coq, qui se retrouve brusquement en pleine lumière, dans un espace réduit, un environnement stressant et en présence d’un autre coq inconnu, a une réaction de stupeur, puis d’agressivité envers ce congénère et l’attaque au bout de quelques secondes ou minutes. Si le coq perdant n’est pas tué, il mettra deux à trois semaines à se remettre de ses blessures, avant de repartir au combat. Certains se vantent d’avoir des coqs vainqueurs de près de trente combats. Mais, le plus souvent, le coq, qui finit toujours par tomber sur plus fort que lui, ne survit qu’à quatre ou cinq combats.
Où se trouvent les gallodromes, et quel public assiste à ces combats ?
Les gallodromes se situent soit dans des arrière-cours de cafés, soit dans des salles municipales classiques. Les combats se déroulent sous le regard passionné des coqueleurs, qui parient sur tel ou tel coq (des billets circulent de main en main) ou se contentent de regarder le spectacle. Le public est à dominante masculine et d’âge mûr, mais il y a aussi des femmes, des jeunes couples et des enfants. L’alcool est très présent. Il y aurait plus de 80 000 amateurs dans la région, dont 5 000 inconditionnels. Ces passionnés sont regroupés dans une Fédération, la Fédération des coqueleurs du nord de la France.
Y a-t-il, comme pour la corrida, des affiches annonçant les dates de combats et les lieux où ils se déroulent ?
Ces coqueleurs, qui se surnomment eux-mêmes « sociétés discrètes », forment un milieu fermé : on peut vivre des dizaines d’années dans le Nord – Pas-de-Calais en ignorant qu’il se tient des combats de coqs à dix minutes de chez soi. La passion se transmettant par filiation (principalement de père en fils, les femmes étant en général moins intéressées), on a peu de chances d’entrer un jour dans le milieu des combats de coqs si on n’est pas soi-même fils ou fille de coqueleur, car les combats de coqs, pour lesquels il est interdit de faire la publicité, n’attirent pratiquement aucun public venu de l’extérieur.
C’est un milieu assez simple et peu cultivé (le combat de coqs est à la base une tradition d’origine ouvrière). Selon un coqueleur ayant pris ses distances avec le milieu mais ayant exercé d’importantes responsabilités au sein de la Fédération, « 85 % des gens de ce milieu sont des imbéciles ».
Les arguments des coqueleurs justifiant ces combats semblent les mêmes que ceux utilisés par les aficionados pour légitimer les corridas…
« C’est grâce aux éleveurs que les coqs vivent encore. » Mais les passionnés de la race pourraient très bien préserver quelques individus sans se sentir obligés de conduire à terme la totalité de leur cheptel à l’égouttoir. « Ils sont élevés en parcours libre jusqu’à 6 mois. » Le concept de « parcours libre » est à géométrie variable selon les éleveurs, cela a été constaté. Mais, même dans le cas où cela serait vrai, cela n’excuse en rien le sort réservé au coq au-delà de ses six mois d’existence. « Si on ne les faisait pas combattre, ils se battraient tout seuls ou attraperaient un coup de sang et ne dépasseraient pas 2 ans. » Pour juger de ceci, il faudrait encore que les animaux observés soient élevés normalement, dans un environnement conforme à leurs besoins, notamment sociaux. Accuser un animal d’agressivité alors que l’on fait tout pour lui développer cette caractéristique n’est pas honnête.
« C’est notre patrimoine. » C’est faux, les combats de coqs ont été amenés par les immigrés flamands. Les Lillois de vieille souche ne les aimaient pas.
« Un combat de coqs, c’est la violence et la mort avec des plumes et de la poussière qui volent autour »
Que dit la loi ?
Après plusieurs interdictions (loi Gramont du 2 juillet 1830, arrêté préfectoral du 11 février 1852), les combats de coqs ont été de nouveau autorisés par de Gaulle, le 8 juillet 1964, qui a déclaré : « Puisque l’on mange les coqs, il faut bien qu’ils meurent. » Le 8 décembre 1993, un arrêt de la cour d’appel de Douai a proclamé les combats de coqs « tradition locale ininterrompue » .
Comment peut-on s’opposer à cette « tradition » ?
Actuellement, aucune opposition autre que de principe n’existe contre les combats de coqs. Aucune campagne n’est menée. Deux « obstacles » principaux (en réalité, de très bons points) à la lutte contre les combats de coqs. Tout d’abord, une impopularité quasi totale. Rares sont les Nordistes qui approuvent les combats de coqs, parce que, d’une part, beaucoup en ignorent l’existence, et, d’autre part, parce que cette pratique a une image lamentable. Le combat de coqs n’ayant pas le côté « chic » que certains trouvent à la corrida, aucune célébrité ne vient non plus assister à un combat de coqs pour améliorer son image et se faire photographier par la presse people. Un combat de coqs, c’est laid, sale, vulgaire, et globalement misérable à tous les niveaux. Aucune musique, fanfare ou tralala d’aucune sorte ne vient tenter de « remonter » esthétiquement le tout : un combat de coqs, c’est la violence et la mort avec des plumes et de la poussière qui volent autour, et pas grand-chose d’autre. Il faut vraiment beaucoup d’imagination (ou d’alcool) pour trouver de la beauté là-dedans.
Par ailleurs, le combat de coqs n’étant réservé qu’aux gens du milieu (les billetteries pour les combats de coqs n’existent pas, aucune information publique sur ces événements ne circule, ni dans les calendriers culturels de la région, ni dans les médias locaux, ou alors exceptionnellement, demandez à assister à un combat de coqs à l’office du tourisme et on va vous regarder avec des yeux ronds), il n’y a pas comme dans le cas de la corrida un public de touristes, de curieux ou d’ignorants à convertir, d’autant que la publicité est interdite. Mais les passionnés, eux, sont irrécupérables.
Un espoir, malgré tout ?
Une solution pour accélérer le déclin des coqueleurs serait peut-être de faire interdire l’accès aux combats de coqs aux enfants. La passion se transmettant par filiation, cela handicaperait beaucoup le renouvellement des rangs des coqueleurs. L’argument à avancer est évident : un combat de coqs est un spectacle d’une violence terrible, susceptible de traumatiser durablement les enfants.
Propos recueillis par Luce Lapin
20 février 2010
Publié le 1er mars 2015