La biodiversité et les hommes nuisibles
Les hommes nuisibles ont anéanti beaucoup d’espèces par cruauté, ignorance, cupidité, arriération. Les hommes nuisibles n’aiment pas la nature, ne respectent pas l’animal, abordent le monde avec leurs pulsions de mort. Les hommes nuisibles ont amené l’ours aux portes de l’extinction dans les Pyrénées et avaient fait disparaître le loup de nos forêts au début du xxe siècle. Les hommes nuisibles veulent transformer les parcs nationaux en parcs à moutons de rente qu’ils feignent de pleurer lorsqu’un prédateur tue la « douce brebis », mais qu’ils n’hésitent pas à vendre à l’égorgeur. Les hommes nuisibles ne supportent ni les lynx, ni les renards, ni les fouines, ni les cormorans, ni les vautours, ni les femmes et hommes de mieux qui aspirent à sauver la nature, car les hommes nuisibles sont en guerre contre tout ce qui échappe à leur contrôle. Les hommes nuisibles cohabitent avec nous, ici et maintenant, en ce temps de mutation des mentalités qui voit leur remplacement progressif par des humains davantage respectueux du vivant, non violents, en paix avec la nature.
Nuisibles ?
Oui, parce qu’ils nuisent à la biodiversité qu’ils exterminent, à l’animal qu’ils maltraitent, à la dignité humaine qu’ils avilissent, dignité tenant à cette qualité première, mère de toutes les vertus : l’empathie. Dans ce contexte sociologique, une question se pose à nous :
Faut-il réintroduire des ours dans les Pyrénées ? Faut-il se réjouir du retour du loup revenu d’Italie depuis 1992 ? Vous trouverez plus d’un ami sincère des bêtes pour expliquer que cela revient à donner des otages à la malfaisance des hommes nuisibles, que les ours, les loups, les lynx seront fusillés, piégés, empoisonnés par les semeurs de mort, les obsédés de l’aseptisation de l’espace naturel. Pourquoi donner de la chair à fusil aux maniaques de la gâchette qui sévissent encore dans le rural profond ? L’humain ne mériterait pas la nature. Qu’elle disparaisse, pensent nombre de nos amis, pour cesser d’être la victime permanente de l’homme nuisible et de ses complices dans l’appareil d’État. À quoi bon tenter de sauver l’espèce ursine puisque les malheureux ours deviendront la proie de tireurs auxquels il suffira d’affirmer qu’ils ont eu très peur de la grosse bête pour échapper à la prison ? Mieux vaut qu’il n’y ait plus d’ours, plus de loups, plus de lynx dès lors que leur protection concrète ne peut pas être assurée. N’a-t-on pas vu, [la semaine dernière], un préfet autoriser une battue d’effarouchement de loups dans la zone centrale du parc national des Écrins ?
L’homme est trop nuisible et devra, à terme, subir la sanction finale de sa nuisance. Il finira dans une planète poubelle privée de vie, un environnement souillé par sa quête insatiable de profits. Alors ne troublons pas l’agonie de la nature. Refusons l’acharnement thérapeutique, et que tout disparaisse : insectes, oiseaux, amphibiens, reptiles, mammifères. Ce raisonnement, qui ne manque pas d’intelligence, tenu par des amis sincères et sensibles de la cause du vivant, n’est pas le mien. En effet, s’il fallait souhaiter l’extinction totale de la population ursine pour que ses représentants cessent d’être persécutés par les arriérés, il faudrait, tout autant, espérer la disparition du renard, de la fouine, du blaireau, de la martre de nos campagnes, eux aussi victimes de l’ignorance crasse des tueurs agréés. Et puis il y a toutes les espèces soumises à la législation de la chasse dont l’absence pourrait nous réjouir en ce qu’elle priverait l’addictif au loisir de mort de son « gibier ». Comment ne pas songer aux millions d’animaux domestiques ou sauvages écrasés sur les routes, parfois cruellement blessés par des collisions avec les voitures ou les trains ? Si l’on voulait que l’animal ne soit plus le souffre-douleur de l’homme nuisible, il conviendrait qu’il n’y ait plus aucun animal sur terre. Aussi, ce n’est point l’ours, le loup ou le lynx qui sont les problèmes, mais l’homme nuisible, celui qui les pourchasse avec son obscurantisme et sa haine de la vie.
Alors je demande qu’on laisse revenir la biodiversité et que ce retour s’accompagne d’un effort d’éducation, d’instruction du public pour extirper les peurs et les croyances fausses sur les espèces. Que des hommes nuisibles méconnaissent la biologie et l’écologie scientifique est excusable. Ces hommes nuisibles se crispent, s’agitent furieusement, exhalent leur arriération avec aigreur, s’organisent en lobbies agrocynégétiques, d’autant plus hargneux qu’ils sont en voie de disparition. Ils constituent un monde archaïque qui a de la nature une approche quasi-superstitieuse. En revanche, que des politiciens sans honneur fassent écho aux préjugés, relaient les impostures et le fassent en connaissance de cause, donne la nausée. L’actuelle ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, tient sur la présence du loup en France des propos contraires à son devoir d’éducation des populations les moins évoluées. Les politiciens français sont méprisables en ce qu’ils confondent le peuple et la lie et croient faire de la démagogie en flattant l’arriération. Notre problème ne réside nullement dans les gesticulations de quelques milliers d’éleveurs chasseurs, mais dans l’indigence des femmes et hommes politiques de ce pays. Nos concitoyens méritent mieux que ces élus inconsistants qui offrent la nature en pâture aux éléments les plus réactionnaires de la société. Nos concitoyens souhaitent majoritairement une faune riche et diversifiée.
Demain, pour « réguler » les herbivores sauvages, qu’aurons-nous besoin de chasseurs, puisque nous aurons des loups, des ours et des lynx !
Gérard Charollois
Convention Vie et Nature
Mouvement d’écologie éthique et radicale pour le respect des êtres vivants et des équilibres naturels