Aïe No Corrida ! Par Robert McLiam Wilson
Nous y revoilà. L’été arrive. C’est le temps des festivals, des traditions, de saluer la saison. Temps de réaffirmer notre identité. Aux États-Unis, la police semble tenir son gala annuel de dézinguage de tout individu pas tout à fait blanc. Au Royaume-Uni, les pauvres British sont confrontés au traditionnel choix quinquennal du mythomane le plus libéral qu’ils puissent trouver pour gouverner le pays. Et ici, à Arles, la première feria de l’année vient de se terminer. Aussitôt, le QI moyen de la ville remonte d’une vingtaine de points et les rues semblent empester un peu moins la pisse. Oh, et aussi tous les Arlésiens sont rentrés.
Il y a eu un petit souci. Des défenseurs des droits des animaux se sont fait arrêter pour avoir bloqué les camions de livraison des taureaux aux arènes [5 avril 2015]. En ce jour chargé, les flics se sont consacrés à la lourde tâche d’embarquer une poignée de hippies amis des bêtes.
À l’évidence, c’est à cause de la corrida.
Il semblerait qu’il y ait deux manières de voir la corrida. Il y a — me dit-on — débat. Vraiment ? C’est quoi, exactement, le débat ?
Les arguments en faveur de la corrida sont assez stupides. Les aficionados prétendent que le taureau de combat vit une vie plus longue, plus libre qu’un animal élevé pour l’abattoir. Ils prétendent que manger de la viande est en soi une forme de divertissement. Prosélytisme infantile. Ils devraient se concentrer sur l’élément sportif. On fait tous des trucs idiots au nom du sport. Le courageux toréador contre la montagne de chair enragée.
La corrida implique plusieurs jours de préparation pour affaiblir la virulence et le sens de la coordination du taureau — on lui bouche les oreilles, on lui frotte les yeux à la vaseline et on lui administre des doses de laxatif. Il n’y a pas que les militants qui le disent — les ex-toreros aussi. Après quoi, le dangereux herbivore daltonien est laborieusement torturé par une bande de types armés à toute petite bite. Pour finir, arrive le petit bonhomme en petit pantalon serré à paillettes (avec son encore plus petite bite). Il fait son truc avec l’épée à l’élu aveuglé, épuisé, estropié — pour notre plaisir. Les taureaux survivants sont généralement abattus. Pas question qu’ils combattent à nouveau, parce qu’ils apprennent trop vite, et ce serait bien trop dangereux. Oublions le débat, où est le sport là-dedans ? On estime à 6 millions le nombre de taureaux tués au cours des vingt-cinq dernières années. Combien de matadors morts sur la même période ?
Je ne dis pas que, si vous aimez ce genre de chose, vous êtes un sociopathe à petite bite (je sais, c’est ma troisième petite bite en deux paragraphes, mais si vous pensez que ce n’est pas le sujet, c’est que vous êtes distrait).
Vous voulez du sport ? OK, un mec — un taureau. Choisissez votre mec, entraînez-le. Prenez des années si vous voulez. Mais laissez-moi choisir le taureau.
Les taureaux que j’ai connus en Irlande et en Angleterre étaient des machins de la taille d’un autobus. Des monstres d’une tonne dignes des effets spéciaux de Star Wars. C’était des gros trucs herbivores, essentiellement branchés bouffe et cul. À l’occasion, ils s’énervaient pour des raisons imprévisibles — une guêpe trop insistante, un morceau de papier alu. Quand ils se mettaient en colère, même les arbres se faisaient la malle. Un jour, j’en ai vu un massacrer un tracteur ! Sans trop s’en apercevoir. Et puis il s’est arrêté et a eu l’air un peu gêné.
Si les connards machos en petit pantalon serré s’attaquaient à un de ces bestiaux, c’est presque sûr que je voudrais voir ça. Mon fric sur le quadrupède irlandais allergique aux paillettes.
Et ça, ce serait du sport.
• Many many Thanks à Robert McLiam Wilson pour son autorisation de publication exclusive sur ce site.