Transmission et origines prétendues de la corrida

Transmission et origines prétendues de la corrida

J’ai eu envie de rebondir sur le débat « La corrida, un spectacle pour toute la famille ? », présenté lundi 18 mai par Marc Leval, de Sud Radio, en présence de Claire Starozinski (Alliance anticorrida), l’avocate Caroline Lanty (présidente de la SPA Paris de 2006 à 2008) et Thierry Hély (FLAC, Fédération des luttes pour l’abolition des corridas), tant les arguments des taurins sentaient le réchauffé en l’absence de toute réflexion éthique sur la condition de l’animal et sur l’influence du spectacle sur les enfants.

Le président des jeunes aficionados nîmois a tant insisté sur l’importance de la tradition que nous pourrions presque en être convaincus si nous ne possédions, nous, les anticorrida, ce supplément de cœur ou d’âme apte à nous rendre empathiques. Parlons-en, des enfants menés à la corrida dès l’âge de 3 ans, sur les genoux d’arrière-grand-papa, comme ce fut le cas pour ce jeune aficionado.

Un enfant de cet âge vit sous la complète dépendance de ses parents, impuissant et vulnérable, il est un être en construction qui a besoin de sécurité matérielle et affective. En aucun cas il ne peut faire un choix (d’adulte). S’il trempe dans la culture taurine, il en est imprégné, et sent très vite que pour être aimé, faire partie du clan, il faut adhérer. Il va d’autant mieux se laisser entraîner au spectacle sanglant qu’il a déjà entendu les récits enthousiastes des aînés, présentant le matador comme un héros et le taureau comme une bête sauvage dangereuse, et ce, en l’absence d’une autre vision de cette tradition.

Que ressent-il, posé sur les genoux de l’aïeul qui abuse de son pouvoir et se fait plaisir en influençant, manipulant, cet enfant ? Ou plutôt que n’ose-t-il pas ressentir et encore moins exprimer, car ce serait contraire aux sentiments de ses éducateurs ? S’il pleure, peut-être l’adulte le sortira-t-il, mais il le ramènera, une autre fois, après l’avoir convaincu de la grandeur du spectacle apprécié de génération en génération. Si ce genre de sensibilité n’est pas autorisée dans la famille, elle sera refoulée. La réflexion, la conscience morale de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, ne peut voir le jour qu’à travers l’exemple d’adultes respectueux des animaux, indignés des tortures infligées et de la mise à mort sous forme de spectacle, capables de l’exprimer et de dire à l’enfant qu’il a le droit de protester à son tour et donc de ne pas être d’accord avec sa famille.

Une jeune aficionada de 26 ans est intervenue dans ce débat, témoignant avoir été menée aux arènes à l’âge de 6 ans, nous rassurant quelque peu en affirmant (comme d’autres avant elle) qu’aucun aficionado ne se réjouit de la mort du taureau, mais que s’ils applaudissent c’est pour saluer la beauté du combat… Mais de quoi parlons-nous ? N’assistons-nous pas plutôt aux tentatives désespérées de l’animal pour échapper à ses bourreaux ?

Autre argument tellement souvent mis en avant que je n’y prête plus attention en ma ville taurine de Dax : « Ceux qui n’aiment pas n’ont qu’à pas y aller ! », « Mais, de grâce, laissez-nous jouir en paix ! », pourrait s’écrier un chœur d’aficionados(das). De grâce est de mise, car l’Église catholique se mêle de bénir les toreros et les arènes…

Puis l’ex-directrice de l’école taurine d’Hagetmau, dans les Landes, était également là pour affirmer que les enfants de ces écoles n’ont pas le droit de donner la mort avant 16 ans et qu’il est donc faux de prétendre qu’ils apprennent à torturer et à tuer des veaux. Thierry Hély a répondu en la conviant à la conférence du professeur Hubert Montagner, le 20 juin à Béziers, où sera projeté un film accablant pour les écoles taurines.

Enfin, le jeune aficionado nîmois est revenu sur les prétendues origines de la corrida dans la grotte de Lascaux. L’ignorance offre aux amateurs des facilités d’interprétations inégalables, même si l’ONCT, Office national des cultures taurines, a cru bon de préciser, devant le tollé général (ville de Montignac déclarée anticorrida en 2007), qu’il voyait dans les représentations de Lascaux « un combat entre l’homme et l’animal qui rappelle la corrida ». Rien ne rappelle la corrida dans ces images des temps préhistoriques où l’homme chassait pour survivre, tout au plus peut-on y déceler un récit mythique (selon les préhistoriens Henry et Marie-Antoinette de Lumley). Rien qui ressemble à la mise en scène que l’on connaît. Cette volonté de chercher une origine sur les parois des grottes ressemble au dernier sursaut d’une argumentation de plus en plus fragilisée et remise en question par un nombre grandissant d’individus du xxie siècle.

Polémique grotte de Lascaux :

Sur France Inter lundi 18 mai

Sur France Bleu, le même jour


Isabelle Nail
Auteure de Ni art ni culture
Préfacé par le professeur Hubert Montagner

Photo : site de la FLAC