Expérimentation animale : le bilan d’Antidote Europe
Antidote Europe a été créé en 2004 par Claude Reiss, directeur de recherche au CNRS durant 40 ans, qui le préside, et Hélène Sarraseca, titulaire d’un DEA de neurosciences. En 2007, le vétérinaire belge André Ménache en devient le directeur. Un comité de scientifiques qui lutte contre l’expérimentation animale avec des arguments… scientifiques, et dont l’objectif est la santé des humains. Voyons avec C. Reiss et A. Ménache en quoi cette association, bien que n’étant pas fondée sur la protection animale, rejoint pourtant nos combats.
Combien d’animaux sont-ils l’objet d’expériences, donc torturés, puis tués, en France chaque année, et lesquels ?
La France (19,4 %), avec l’Angleterre (18,9 %) et l’Allemagne (16,9 %), est l’un des trois plus grands « consommateurs » d’animaux utilisés dans les laboratoires de l’Union européenne. 2 328 380 d’entre eux ont été exploités et tués en 2007. On utilise, entre autres, des chiens (4 131 en 2007), des chats, des lapins, des singes, des porcs et des rongeurs (souris 57 %, rats 17 %, lapins, furets…). Ces chiffres constituent une sous-estimation, puisque les animaux tués pour leurs tissus ainsi que ceux utilisés pour la reproduction ne sont pas comptabilisés, bien qu’ils souffrent et finissent eux aussi par être « sacrifiés ». Toutefois, pour la plupart de la population, l’expérimentation animale reste « un mal nécessaire ». D’un côté, les sondages officiels nous indiquent qu’une forte majorité (80 %) de l’opinion publique n’accepte pas les expériences sur certaines espèces, comme les chiens, les chats et les singes (y compris la recherche des médicaments pour les maladies humaines). De l’autre côté, le grand public ne possède pas les compétences scientifiques pour contester les arguments des chercheurs.
L’argument que vous opposez aux « autres » scientifiques est pourtant irréfutable…
Antidote Europe est une association de scientifiques alertés par le développement rapide, à présent explosif, de maladies graves : démences, diabètes, cancers, problèmes cardiaques, autisme… Nous avions compris que cette dégradation était la conséquence de substances toxiques présentes, imperceptibles, dans notre environnement. Il s’agissait de les identifier, d’en évaluer la dangerosité, de les éliminer, en un mot, de faire de la prévention. Nous nous sommes immédiatement aperçus que la prévention était inexistante et que, dans les quelques rares cas où l’on essayait d’évaluer la toxicité d’une de ces substances, on y exposait des animaux, le plus souvent des mammifères. Utiliser un animal d’une espèce comme « modèle » d’une autre est, pour un scientifique, une aberration, car il est prouvé qu’aucune espèce n’est un modèle biologique fiable pour une autre. Les prétendus scientifiques qui, sous la bannière des 3R (raffiner, réduire, remplacer), utilisent ces animaux comme « modèles » de l’homme sont, au choix, soit des ignorants (notre espèce n’a pas de modèle !), soit des faussaires, car il est aisé de sélectionner l’espèce animale, et, dans l’espèce, la lignée, qui donnera un résultat voulu d’avance ou son exact contraire. Les 3R sont une « tarte à la crème » servie depuis plus de cinquante ans par ses adeptes pour calmer la colère de ceux qui s’opposent aux tests sur animaux par compassion et qui ont mis longtemps pour s’en apercevoir.
L’expérimentation animale n’est-elle déjà pas, par essence, condamnable sur le plan éthique ?
La plupart des associations qui luttent contre l’expérimentation animale se basent sur l’argumentation morale. L’argumentation morale (l’indignation devant la souffrance animale) est compréhensible par tout le monde (même par un enfant de dix ans), tandis que l’argumentation scientifique ne l’est que par les chercheurs — du moins ceux qui sont prêts à l’écouter… Nous disposons aujourd’hui de technologies pertinentes pour tester les effets des nouveaux produits sur les tissus humains, ce qui rend l’expérimentation animale totalement inutile. Le défi actuel pour mettre fin à la vivisection n’est donc plus d’élaborer des méthodes substitutives, elles existent déjà, mais plutôt de convaincre les autres scientifiques, et éventuellement le grand public et les politiciens, de leur pertinence.
Que propose Antidote Europe pour remplacer le modèle animal ?
Nous ne pouvions pas nous contenter de dénoncer, il nous fallait aussi proposer, pour remplacer ce que nous dénoncions. Avec l’aide, ô combien précieuse, de One Voice, nous avons été en 2004 les premiers en Europe à mettre en œuvre une évaluation scientifique détaillée des toxicités, fiable pour l’homme (toxicogénomique sur cellules humaines exposées à la substance à évaluer), précise, rapide, d’un coût modéré et impliquant ZÉRO animal. Tester sans animaux n’est pas une utopie, mais une réalité, une prévention qui nous épargne bien des souffrances et des drames. La toxicogénomique a été retenue dans la directive REACH (enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques) comme méthode d’évaluation de la toxicité de 160 000 substances chimiques, mais la Commission européenne s’oppose depuis plus de six ans à sa mise en œuvre, préférant contre toute logique — et dans quel intérêt ?— les tests sur animaux. Nous avons essayé d’engager des poursuites contre Barroso pour non-assistance à personnes en danger et homicides involontaires, au nom de l’article 7.2 de la directive 86/609, qui ordonne le recours aux méthodes sans animaux quand c’est possible. Que pensez-vous qu’il arriva ? La directive 2010/63 qui la remplace laisse la responsabilité aux États membres de l’UE de veiller à l’application de cette obligation. Un tour de passe-passe qui permet à M. Barroso de s’en laver les mains et nous laisse face aux vingt-sept membres de l’UE pour exiger cette application, autant dire que notre action se perdrait rapidement dans les sables bureaucrato-administratifs.
Devant quel réel danger nous trouvons-nous ?
Nous nous battons pour conserver une planète bleue et une bonne santé à nos enfants, petits-enfants et aux générations futures. Qu’ils nous aident à gagner contre les lobbies de toute sorte qui ne voient que leurs profits. Pour ce qui nous concerne, nous faisons nôtre le « never surrender » lancé par Churchill à l’occasion d’une menace (guerre 39-45), en comparaison de laquelle celle qui se déroule sous nos yeux apparaît futile : l’évolution des pathologies graves. Cette évolution est telle depuis quelques décennies que notre espèce risque d’être en grande difficulté avant la fin de ce siècle, si l’on ne met pas en œuvre très rapidement une prévention sans faille et des thérapies enfin efficaces. Il va sans dire que tout recours à l’expérimentation animale serait non seulement inutile, mais surtout contre-productive, comme le prouve notre état sanitaire présent. Où l’on voit le cœur rejoindre la raison !
Propos recueillis par Luce Lapin
19 janvier 2013