Qui pleure sur un canard ? Par Cavanna

Qui pleure sur un canard ? Par Cavanna

« Si vraiment c’est un dieu qui a créé ce cloaque d’horreur et de désespoir avec la mort au bout, alors c’est un tel salaud qu’il vaut mieux qu’il n’y en ait pas. »
 Cavanna

En écho à la fantastique Marche pour la fermeture des abattoirs, qui a réuni à Paris quelque 1 200 personnes le 14 juin 2014 pour une arrivée à la Vegan Place, place de la République, ce texte, malheureusement « toujours d’actualité », selon la formule consacrée.

Qui pleure sur un canard ? Je vais vous épater : moi, je pleure sur un canard. Ces multitudes de vies tolérées à seule fin de grossir le plus vite possible pour être transformées en merde par nous, 6 milliards de tristes connards, et balancées aux ordures toutes palpitantes parce que les traîtres connards ont peur pour leur petite gueule si importante. Oui, vaut mieux que j’arrête, je perds les pédales. Notre petit confort, nos petits bonheurs de gourmandise ont les pieds dans un marécage de sang, de merde, de souffrance et de superbe indifférence. Savez-vous quoi ? Je ne puis plus voir des vaches dans les champs, des moutons, des poules picorant sans, tout de suite après le premier attendrissement, sentir une main qui me broie les tripes en même temps qu’une voix me hurle dans la tête : « Des condamnés à mort ! Ce sont tous des condamnés à mort ! » J’essaie de me dire « ils ne savent pas ». Je n’en suis pas très sûr. Et les oiseaux sauvages ? Ah, ceux-là, hein ? Eh bien, ce sont des salauds. Méprisant les frontières et les embargos, ils transportent dans les migrations les sales virus et les sèment par le monde. Sus aux migrateurs ! Chasseurs, à vos fusils ! Tuez tout, on n’a pas le temps de leur regarder le blanc de l’œil ni de leur prendre le pouls.
François Cavanna
(22 février 1923-29 janvier 2014)