Déterrage des blaireaux : quand les beaufs font joujou

Déterrage des blaireaux : quand les beaufs font joujou

Dans la plupart des pays européens (Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Espagne, Suisse…), le blaireau est classé espèce protégée. En France, il est chassé pendant la période d’ouverture (de septembre à février), mais aussi du 15 mai jusqu’en septembre, soit durant… plus de neuf mois, dans 74 départements où est autorisé, légale, cette fête du sang et de la douleur. Jusqu’à la fin des temps ? Entretien avec Pierre Athanaze, président de l’ASPAS, Association pour la protection des animaux sauvages.

Qu’est-ce que le déterrage, ou vénerie sous terre ? Une sale tradition de plus à abolir ?
Le déterrage consiste à acculer le blaireau au fond de son terrier à l’aide de chiens tels les teckels, les fox-terriers ou les jack-russell terriers. Dans un premier temps, le cri des chiens dans le terrier permet de localiser l’animal, à l’aide d’une sonde, puis de creuser. Le déterrage d’un terrier peut durer plus de huit heures ! Huit heures interminables où les blaireaux, dans un état de stress épouvantable, sont sans cesse mordus. De longues heures durant lesquelles ils sont acculés au fond de leur terrier pendant que les chasseurs, ivres d’envie de tuer (et certainement de vin aussi…), creusent jusqu’à les apercevoir, avec leurs petits, complètement paniqués, épuisés et harcelés par les chiens. Ils sont alors saisis par la tête avec des pinces pouvant atteindre 1,5 à 1,8 m de long, puis achevés avec une dague ou un poignard, voire jetés vivants aux chiens pour la « curée ». Si ce mode de chasse est effectivement ancien, il ne correspond absolument pas à une tradition. Il était très marginal et n’intéressait que très peu les chasseurs. Mais, ces dernières années, de plus en plus d’entre eux pratiquent le déterrage, cela permet à ces Nemrod de « s’amuser », en dehors des périodes d’ouverture générale, à détruire les terriers de blaireaux et à les tuer. Le déterrage se pratique également sur le ragondin et le renard lorsqu’ils sont classés « nuisibles ».

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Ce genre de chasse est-il marginal?
La vénerie sous terre prend un essor extraordinaire aujourd’hui, ce n’est nullement la survivance d’une chasse née au xvie siècle. On comptait quelques centaines d’équipages de chasse sous terre dans les années 70. Selon la Fédération nationale de chasse et l’Association française des équipages de vénerie, ils étaient environ 3 000 en 2008, soit 70 000 à 80 000 chasseurs et 120 000 à 140 000 chiens ! Si chaque équipage ne chasse que quinze jours par an (ce qui est largement sous-estimé) et qu’il massacre trois blaireaux par opération, cela totaliserait quelque 135 000 animaux ainsi exterminés chaque année par ce seul mode de chasse. Et bien plus de renards et de ragondins.

Pourquoi un tel acharnement contre le blaireau, accusé de détruire les cultures ?
Si c’était le cas, ce serait là une nouvelle exception française. Nos agriculteurs seraient-ils moins malins que leurs collègues européens pour se prémunir d’éventuels dégâts ? Les blaireaux français se seraient-ils spécialisés dans les nuisances aux cultures ou dans le forage des talus ? Et l’on ne peut en aucun cas trouver une justification par une éventuelle surpopulation. Tous les scientifiques qui ont travaillé sur le sujet en France s’accordent à estimer que les densités de population iraient de 0,1 à 4 ou 5 blaireaux par kilomètre carré. En Angleterre, elles peuvent atteindre 10 individus au kilomètre carré.

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Comment mettre fin, non seulement à cette période de chasse supplémentaire, mais également au déterrage ?
Déjà, cette période en plus est un non-sens absolu, puisque, si la chasse ferme à la fin de l’hiver pour toutes les espèces, c’est pour les laisser tranquilles pendant la période de reproduction. Mais, pour le blaireau, ce minimum de trêve n’est même pas respectée ! Tout cela pour une chasse de loisir qui se trouve être un des modes de chasse le plus cruel d’Europe. La très grande majorité des préfets accorde ce « bonus » sans hésiter, et sans doute sans grande réflexion, sur simple demande des fédérations de chasse. Cela donne une idée du peu de cas que le corps préfectoral fait tout à la fois de la condition animale et de la préservation de la nature, préférant satisfaire le lobby chasse… Depuis des années, nous dénonçons cette pratique et la complicité des pouvoirs publics. Nous avons aujourd’hui le soutien de quelques  élus — Yves Blein (PS), Laurence Abeille (EELV), Sergio Coronado (EELV)… Afin de mobiliser le public, nous venons de lancer une pétition sur notre site pour l’interdiction du déterrage.
Le ministère de l’Écologie doit aussi entendre nos revendications et cesser d’être la chambre d’enregistrement des desiderata des chasseurs. Nous attendons donc que Ségolène Royal se comporte en véritable ministre de l’Écologie, avec tout ce que cela représente de respect du vivant, et non en bras armé des lobbies, comme l’ont été ses prédécesseurs… FIN
Propos recueillis par Luce Lapin

• Si vous trouvez de jeunes blaireautins orphelins, contactez l’association Meles, de Virginie Boyaval : www.meles.fr

Photos : Meles pour le déterrage
Denis Richard Blackbourn pour le blaireau derrière l’arbre