« Fermare Green Hill » : ils l’ont fait!
Donner la vie pour livrer à la mort… Aujourd’hui, par décision de justice, les cages de cet élevage de beagles sont vides.
Fondé en 1989 à Montichiari (Brescia), en Italie, il fournissait des laboratoires d’expérimentation animale européens. Michèle Scharapan, engagée dans la cause animale depuis plusieurs années, et plus particulièrement dans la lutte contre la vivisection, a longtemps milité pour sa fermeture. C’est en lisant L’Insoutenable Légèreté de l’être, de Milan Kundera, et tout particulièrement ce passage : « La vraie bonté de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l’humanité (le plus radical qui se situe à un niveau si profond qu’il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci: les animaux. Et c’est ici que s’est produite la faillite fondamentale de l’homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent…», qu’elle a « réellement pris conscience de qui était cet autre qui ne peut s’opposer, et du regard que nous portons sur lui ». Entretien avec une brillante pianiste concertiste.
Quels étaient les principaux clients de Green Hill ?
Cet élevage comptait plus de 2 500 chiens adultes ainsi que de nombreux chiots, condamnés à souffrir et à mourir dans d’atroces souffrances. Entassés dans des baraquements, ils grandissaient enfermés dans des cages éclairées par une lumière artificielle. Chaque mois, plus de 250 d’entre eux étaient remis aux laboratoires, aux mains des expérimentateurs. Green Hill fournissait des laboratoires universitaires, des sociétés pharmaceutiques de renom et des sociétés de sous-traitance de tests sur animaux comme Huntingdon Life Sciences (HLS) en Angleterre. Il y a quelques années, Green Hill était devenu la propriété de l’entreprise américaine Marshall Farms Inc. Marshall Farms est considéré comme la plus importante société au monde spécialisée dans l’élevage de chiens pour les laboratoires. Pour un prix situé entre 450 et 900 euros, il était possible d’acheter des chiens de tout âge. Qui était prêt à payer pouvait aussi acquérir une femelle gestante. Au début il n’ y avait que 500 chiens, puis 2 500. Quand le collectif a commencé la campagne, il était question que Marshall fasse construire d’ autres cabanes, pour arriver à 5 000 chiens. Green Hill, l’un des principaux élevages de chiens du « marché » européen de l’expérimentation animale, proposait, entre autres, des traitements chirurgicaux (sur demande), notamment la section des cordes vocales, pour que les chercheurs ne soient pas dérangés dans leur « travail » par les hurlements de douleur, ou l’ablation de certaines glandes.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à Green Hill ?
Ayant suivi (de loin) un collectif qui avait réussi à faire fermer un autre élevage (Morini), je m’intéressais de près au militantisme italien. C’est ainsi que j’ai appris l’existence de Green Hill et du collectif Fermare Green Hill, un groupe de jeunes militants qui avaient décidé de faire une campagne contre cet élevage. J’avais décidé de participer avec eux à la première manifestation, en avril 2010. Je fus très impressionnée par le nombre de manifestants : 3 000! Mon rôle a été d’informer ici en France, ce que j’ai fait au maximum. Avec Stéphanie Rouby, une militante lyonnaise, nous avons coorganisé une manifestation à Lyon, où la société Marshall avait un bureau dans lequel la gérante de Green Hill était employée. J’ai beaucoup participé à leurs manifestations, de plus en plus fréquentes, avec de plus en plus de manifestants. À Rome, nous fûmes 10 000 dans la rue! Ces manifestations à répétition et les actions régulières de ce collectif ont permis de faire connaître cet élevage à une grande majorité de citoyens italiens. La population a soutenu cette campagne, et les médias ont été des relais très efficaces.
Un procès a eu lieu. Quel en a été le déclencheur ?
Le 28 avril 2012, plus de 1 000 personnes ont marché dans les champs vers l’élevage et découpé le grillage le protégeant. Des militants sont entrés dans le camp, sans en être empêchés par les policiers. De là, ils ont pénétré à l’intérieur et ont sorti des chiens. Après cette libération, qui a touché le monde entier, une manifestation internationale s’est organisée le 8 mai devant les ambassades italiennes et les consulats pour demander la fermeture de Green Hill et l’abolition de la vivisection. Des employés et des ex-employés ont contacté le collectif et ont donné des informations prouvant qu’il y avait des pratiques illégales dans cet élevage. Une enquête a eu lieu, le camp a été mis sous séquestre. En août, sous la responsabilité de la LAV, Ligue antivivisection italienne, et de Vita da Cani, les 2 500 chiens ont été confiés à des associations et à des particuliers. La première chienne sortie officiellement de ce camp a été confiée à un militant du collectif Fermare Green Hill. Elle a été baptisée Vegan (ci-dessous).
Quelles furent les condamnations, et pour quelle maltraitance ?
Les chiens ne sortaient pas de leurs cages, ils ne voyaient jamais la lumière du jour. La chaleur y était insupportable. Ils n’avaient aucune stimulation. Certains pataugeaient dans leurs excréments et leur sang. Les chiots étaient enlevés à leur mère trop vite, parfois privés d’eau et de nourriture. Le procès a commencé en juin 2014 et s’est terminé fin janvier 2015. Le directeur, Roberto Bravi, a écopé de la peine la plus forte : un an de prison ferme. Ghislaine Rondot, cogérante de Green Hill, et le docteur vétérinaire Graziosi Renzo ont été condamnés à un an et six mois de prison avec sursis, ainsi que l’interdiction pour tous les trois d’élever des chiens dans les deux prochaines années. Les peines ont été plus légères que celles requises par le procureur Ambrogio Cassiani, qui avait demandé de deux ans à trois ans et six mois. C’est une reconnaissance pour tous ceux qui pendant toutes ces années, ont manifesté, signé des pétitions, ont fait aussi des grèves de la faim, porté plainte, franchi des barrières idéologiques qui défendaient l’indéfendable.
Il existe un élevage de chiens destinés aux labos à Mézilles, dans l’Yonne. Il n’y est pas question de maltraitance, mais son existence même est contestable sur le plan de l’éthique… Un espoir ?
En ce qui concerne la cause animale, il est très difficile en France d’avoir de l’espoir… Mézilles est une affaire familiale qui se transmet de père en fils. Le directeur de l’élevage est un notable. Son commerce rapporte de l’argent à la région. Tout semble légal, si ce n’est que vendre des animaux à des labos dans lesquels ils seront torturés est sur le plan moral illégal. Il y a bien sûr une mobilisation contre cet élevage, mais il faudrait qu’elle soit plus importante et plus fréquente. Une association milite contre ce camp, et organise chaque année une marche près du camp. D’autre part, avec quelques amis, nous avons créé un collectif afin de faire des actions de sensibilisation et d’information, tout d’abord dans la région, mais notre objectif est d’élargir cette campagne à toute la France. La majorité des gens avec lesquels nous parlons ignorent l’existence de cet élevage, ils pensent même que la vivisection est abolie depuis longtemps. Tout cela n’est pas suffisant, mais, à force d’informer, peut-être qu’un jour, comme en Italie, les gens descendront-ils dans la rue pour protester contre l’expérimentation et en demanderont l’abolition. Je rêve? C’est possible… Il est évident qu’il faudrait que les citoyens se mobilisent comme ils savent le faire pour défendre leurs propres intérêts. Fin.
Propos recueillis par Luce Lapin
• Concert, mardi 30 juin 2015. À 20 h 30, Michèle Scharapan au piano, Thomas Gautier au violon, Seokwoo Yoon au violoncelle et Grégory Ballesteros au piano interpréteront des œuvres de Mendelssohn, Schubert et Brahms au profit de L214. Un immense merci à ces musiciens! Au Théâtre du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, 2 bis, rue du Conservatoire, Paris 9e. Réservations : 06 58 86 11 33 ou à la boutique de L214.