Remettre l’homme à sa place

Remettre l’homme à sa place

Qu’il était émouvant, au journal de 20 heures de la télévision de ce 14 avril, ce père affligé par la mort de son fils de 13 ans, victime d’un requin, alors qu’il pratiquait le surf sur une côte de l’île de la Réunion, dans une zone interdite. L’homme courroucé interpellait les « messieurs de Paris » pour qu’ils agissent contre les requins.

Qu’il était vindicatif et menaçant, ce bien peu bucolique éleveur de moutons des Alpes-Maritimes qui, dans le même journal, dénonçait la hardiesse des loups venus aux abords de son village tuer son bétail, loups qui bientôt empêcheraient les petits enfants de sortir la nuit.

Qu’ils sont lamentables, ces maires, ces présidents de départements qui font abattre les arbres des places publiques et des bords de routes au prétexte qu’ils sont malades ou qu’ils compromettent la sécurité des automobilistes, alors que le platane salvateur protège le paisible piéton du chauffard criminel, grisé de vitesse, dont il interrompt opportunément la course qui, sans lui, aurait fauché notre innocent.

En fait, l’homme oublie qu’il n’est qu’une espèce parmi d’autres et que cette terre est celle de la vie et non celle d’Homo sapiens. Il n’est guère sage, cet animal qui prend la planète pour son terrain de jeux, les espaces naturels pour des parcs à moutons et qui interdit les arbres parce qu’ils possèdent des troncs et des branches. Il génère par son irresponsabilité, son infantilisme attardé, sa cupidité insatiable une catastrophe globale, la disparition des formes de vies qui ont tout autant que lui une place dans la biosphère.

Dans l’océan, les requins priment sur l’homme, qui doit limiter ses terrains de jeux à des zones protégées, équipées de dispositifs de sécurité. Dans les campagnes, les animaux d’élevage doivent bénéficier de protections les mettant à l’abri des prédateurs qui ont le droit de vivre et de jouer leur rôle dans la chaîne alimentaire. Vous lirez, dans une certaine presse régionale débile, acquise au lobby chasse contre nature, que prolifèrent les sangliers, les chevreuils et même les renards et que la biodiversité n’est nullement en danger. Nous atteignons ici le comble de l’imposture ou du crétinisme. Le sanglier de semi-élevage du chasseur français ne résume pas la biodiversité.

Il n’y a que quelques décennies, les automobilistes constataient que leurs pare-brise s’obscurcissaient, en été, par la masse d’insectes volants qui s’y écrasaient. Les choses changent vite. Les campagnes se vident d’insectes et avec eux se font rares amphibiens, reptiles, oiseaux insectivores. Les poisons agricoles et les infrastructures de béton expliquent cet anéantissement. Les lobbies de la chasse, de l’agrochimie et leurs petits copistes insinuent la peur des animaux à des hommes hors-sol, prisonniers d’un urbanisme biocide, hommes auxquels on fait croire que le sanglier est un fauve redoutable, que les renards attaquent les passants, que les pigeons propagent des maladies, que la nature grouille de vipères et de vermines inquiétantes. Or la seule peur qui vaille ici est celle de ces phobies entretenues par ceux qui ont intérêt à ce que l’homme n’aime pas la nature et ne voient dans l’animal, non pas un compagnon de vie, mais un ennemi à contenir. Le mécanisme psychique du spécisme rejoint celui du racisme : peur de l’inconnu et rejet de ce qui fait peur.

Ce n’est point une vue de l’esprit que de constater que l’animal le plus violent, le plus dangereux, le plus grand prédateur d’humains, le plus sadique en ce qu’il fait de la souffrance d’autrui une jouissance est l’homme, et qu’il y a moins de sécurité dans les zones urbaines que dans la forêt. L’homme a sa place sur Terre, mais il ne saurait occuper toute la place. D’autres formes de vie partagent l’espace disponible et notre maîtrise n’a de sens que de permettre, non d’éliminer, de torturer, de massacrer, mais de concilier les impératifs de toutes les espèces.

Les manifestations « contre nature » révèlent la violence fondamentale de l’homme chasseur, guerrier, génocideur, l’homme qui obéit à ses pulsions et ne parvient pas à s’hominiser. Aucun fondement éthique ne justifiera jamais l’extinction d’une espèce, la maltraitance d’un être doté de sensibilité, le refus de la diversité. Le nombre des chasseurs s’amenuise, bien qu’un lobby sournois et sectaire perdure à manipuler les pantins de la politique. En ce pays, et partout ailleurs, le processus d’hominisation est en marche et il passe par l’apprentissage du respect de toute vie.

Pour nous, ce ne sera pas « l’homme d’abord », mais l’homme aussi !
Gérard Charollois
Président
Convention Vie et Nature
Mouvement d’écologie éthique et radicale pour le respect des êtres vivants et des équilibres naturels.