Delphinariums : liberté pour les captifs !

Delphinariums : liberté pour les captifs !

En mai 2014, une manifestation rassemble une cinquantaine de personnes devant le parc Astérix, un des trois delphinariums en France métropolitaine. C’est le point de départ de C’est Assez !, créé cinq mois plus tard, le 28 octobre. L’objectif de l’association est la fermeture des delphinariums en France et en Europe – tout en contribuant parallèlement à la création de sanctuaires. C’est assez ! informe également sur la pollution des océans et sur la surpêche. Entretien avec sa fondatrice et présidente, Christine Grandjean.

Que compte la famille des cétacés, mammifères marins ?
Les baleines à fanons, les dauphins, les marsouins, les narvals, les bélugas… Dans les bassins français, seules deux espèces sont représentées : Orcinus Orca, l’orque, et Tursiops Truncatus, le grand dauphin : c’est Flipper !

Vous accusez les delphinariums de perversité. Pourquoi ?
Personne ne peut croire aux arguments des amateurs des corridas quand ils prétendent aimer les taureaux et l’art. En revanche, 100 % des personnes qui se rendent dans un delphinarium aiment sincèrement les dauphins et les orques… Nous dénonçons le mensonge et l’imposture de cette industrie, qui nous trompe, qui trompe plus particulièrement les enfants, en se servant de l’amour et de la sympathie que ces animaux nous inspirent pour les exploiter jusqu’à la mort. Le « sourire » du dauphin lui fait un tort fou, il fait croire qu’il est heureux de sauter en échange d’un poisson mort. C’est une douce rigolade, on n’a jamais vu un spectacle de dauphins sans un seau de poissons…

En quoi la captivité est-elle incompatible avec leur comportement naturel ?
En liberté, les cétacés sont toujours en mouvement. Ils passent seulement 10 % de leur temps à la surface. Ils migrent, nagent parfois plus de 100 km en ligne droite et peuvent plonger à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Ils chassent la nuit, se reposent durant la journée, jouent, se reproduisent, se font des amis… Ils vivent donc dans un univers à trois dimensions : surface, profondeur et sons. Ils sont très sociables, les échanger dans différents bassins pour les besoins des « collections » crée chez eux des stress immenses. Dans un bassin, ils tournent en rond indéfiniment, passent 90 % de leur temps à quémander de la nourriture, ce qui induit coups de soleil, piqûres de moustiques… Les sons qu’ils émettent pour communiquer ou pour capter les images se répercutent sur les parois des bassins et leur deviennent insupportables, ajoutez à cela le bruit des pompes, de la musique, des cris, des applaudissements… En cas de conflit, aucune possibilité de fuite ne leur est offerte, d’autant qu’ils se trouvent avec d’autres individus qu’ils n’ont pas choisis. Entre janvier 2015 et août 2017, dix cétacés sont décédés dans les bassins français, à des âges très précoces – dont un delphineau mort-né, et trois au bout de seulement quelques jours.

Quels sont vos moyens d’information ?
Ils sont le plus nombreux possible : conférences, projections de films, débats, interventions auprès des jeunes (écoles, collèges, lycées), présence chaque mois devant les delphinariums, distribution de flyers, rassemblements devant l’ambassade du Danemark – pour dénoncer le grind, massacre de dauphins aux îles Féroé – et celle du Japon – massacres et captures dans la baie de Taiji –, campagnes d’affichage dans les couloirs du métro parisien, rencontres avec les responsables des parcs, rendez-vous avec les politiques, pétitions… Une action juridique contre le Mariland est en cours d’instruction.

Quelles maladies entraîne la captivité dans les bassins ?
Les dauphins et les orques ont fréquemment des problèmes cutanés, car le chlore irrite la peau. Les yeux et les poumons sont également atteints. Des problèmes rénaux sont fréquents, car les poissons décongelés avec lesquels on les nourrit ne contiennent pas suffisamment d’eau, contrairement à ceux qu’ils ingèrent à l’état sauvage. Les soigneurs doivent donc les intuber régulièrement pour les réhydrater, et leur donnent en plus des blocs de glace à sucer. Je voudrais insister sur le fait que, malgré tous les soins et l’amour que ceux-ci peuvent leur apporter, la captivité en elle-même reste une grande maltraitance pour ces mammifères marins. Ils souffrent de nombreuses infections bactériennes, dues à la baisse de leurs défenses immunitaires, et développent régulièrement le syndrome de stéréotypie1. Pour les maintenir en vie, on leur administre nombre d’antibiotiques, d’antiulcéreux, d’antifongiques, d’anxiolytiques, d’antidépresseurs…

Nicolas Hulot paraissait approuver la fin des delphinariums. Malheureusement…
Le 6 mai 2017, Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, a pris un arrêté dans ce sens qui a été invalidé par le Conseil d’État pour vice de forme, car la dernière version, qui comprenait l’arrêt de la reproduction des dauphins, n’avait pas été proposée à la consultation publique. Avec huit autres ONG, nous avons rencontré Nicolas Hulot le 23 avril dernier, et lui avons remis 211 000 signatures favorables à cette fermeture. Il a eu l’air de vouloir reprendre l’arrêté. Nous lui avons alors soumis une version revue par nos avocats, afin que l’arrêté ne soit pas attaquable sur le fond, et nous avons présenté nos arguments contre la reproduction. Le 28 juin, alors que nous relancions M. Hulot, il nous a donné des réponses nous laissant penser qu’il était soumis aux lobbies des parcs, qu’empêcher un dauphin en captivité de se reproduire serait source de stress, et que c’était au public de décider. Nous lui avons envoyé un nouveau courrier, cosigné par les 8 autres ONG, lui demandant de se positionner clairement. Il devait se prononcer en septembre sur un nouvel arrêté…

C’est assez ! fait partie de l’Eurogroup for Animals.
Notre objectif est de travailler avec des associations italiennes et espagnoles qui luttent aussi contre la captivité, de travailler également sur la surpêche ainsi qu’avec la CBI, Commission baleinière internationale, pour lutter contre le massacre des baleines. Enfin, je recommande deux films à vos lecteurs : The Cove et Blackfish, remarquable documentaire sur la psychose d’une orque, Tilikum, qui a tué trois personnes – ce qui n’est jamais arrivé à l’état naturel.
Propos recueillis par Luce Lapin

  1.  Balancements incontrôlés et répétitifs, signe de grande souffrance psychologique, comme en développent les animaux dans les zoos et les cirques – lions, éléphants…–, semblables à ceux des malades dans les hôpitaux psychiatriques. (L. L.)

Photos C’est assez !