Candy la Côcke, la terreur des ordinateurs
Elle s’appelait Candy la Côcke et ne le savait pas.
Candy était complètement sourde, complètement vieille, si vieille que même le véto n’avait pu qu’évaluer son âge. « Elle a au moins douze, treize, peut-être même quatorze ans… Elle est en très mauvais état. Elle va vous faire quinze jours », avait prédit, dans un élan d’optimisme incontrôlé, le « docteur » en la descendant de la table de consultation.
Tête baissée, droit devant, garez-vous, les meubles, garez-vous, les gens, garez-vous, les chats ! Soit le choc de l’abandon, soit, plus vraisemblablement, une légère hémorragie cérébrale, toujours est-il que Côcke trottinait, sautait joyeusement les trottoirs, le museau toujours fixé sur les pattes. Pratique… Essayez donc de marcher en ne regardant que vos pieds ! Candy, qui n’était pourtant pas aveugle, ne voyait pas autour d’elle. Donc ne me voyait pas. Quand je rentrais, elle faisait la fête là où elle se trouvait. Si c’était dans la cuisine, elle y faisait des petits bonds. Bonjour, cuisine, heureuse de te voir, cuisine. Et Candy levait ses pattes frangées en remuant très vite son petit bout de queue coupé.
Ah, j’ai oublié de vous dire : Candy la Côcke était un cocker. Un vrai cocker golden, avec les longues oreilles et tout ce qu’ont de beau les cockers.
Candy dormait toute la journée. Au journal — c’était au tout début, en juillet 1992 —, elle en « écrasait », scotchée à son panier. Les garçons, peu charitables — vous connaissez les garçons, surtout ceux de Charlie —, rigolaient. « Elle est empaillée ! » À 17 heures pile, ils regrettaient qu’elle ne le fût pas : c’était l’heure où Candy se réveillait. Se levait. Grande catastrophe. Plus du tout « empaillée », elle se cognait dans les meubles, débranchait les ordinateurs, rentrait dans les portes vitrées. Et le journal paraissait quand même le mercredi… La dernière année, Candy n’était plus capable de se nourrir toute seule. Matin et soir, je la faisais manger dans ma main. Un prétexte pour les câlins. Je lui disais : « T’en auras eu, des bisous, toi, p’tite Côcke ! » Je la revois. « Comme si c’était hier », on ajoute généralement. Aujourd’hui, Candy est là où l’on va quand on meurt : nulle part.
Adoptée à la Fondation Assistance aux animaux en janvier 1992, Candy la Côcke a été endormie en mai 1994.
Luce Lapin
Écrit été 2003.