Lutte anticorrida : le bilan du CRAC et du CRAC Europe

Lutte anticorrida : le bilan du CRAC et du CRAC Europe

Plus de vingt ans de lutte pour le CRAC (loi 1901), à l’origine Comité Réformiste Anti Corrida, fondé en 1991, devenu en 2002 Comité Radicalement Anti Corrida, et aujourd’hui antenne Gard-Lozère du CRAC Europe (loi 1908), né en 2007 (tous deux pour la protection de l’enfance). Le point avec Jean-Pierre Garrigues, président du CRAC et vice-président du CRAC Europe, sur l’évolution de la plus ancienne association spécialisée dans le combat pour l’abolition de « la barbarie des arènes ».

Pourquoi le CRAC a-t-il changé de nom ?

Créé en 1991 par Jacques Dary, dont il est aujourd’hui président d’honneur, et Aimé Tardieu (trop tôt disparu), le CRAC fut d’abord le Comité Réformiste Anti Corrida, car Jacques et Aimé croyaient à la réforme, à une évolution de la corrida pour réduire et ensuite supprimer les sévices sur animaux. Pour cela, Jacques Dary chercha des alliés dans le monde de la camarguaise et de la bouvine. Malheureusement, comme l’a montré le « Grenelle des animaux » en 2008, toutes les tauromachies se tiennent et se soutiennent. Lors de ces réunions voulues par le président aficionado Sarkozy, grand ami des chasseurs et de tous les massacreurs d’animaux, nous avions alors assisté au grand jour à l’union sacrée de la tauromachie : corrida, course camarguaise et landaise. Un représentant des chasseurs avait même été convié par le ministère de l’Agriculture à participer à ces réunions… cherchez l’erreur ! Il fut question à l’issue de cette mascarade de publier un livret sur l’amélioration du bien-être des animaux dans la corrida. On attend toujours cette publication du ministère de l’Agriculture…
La réforme de l’horreur tauromachique est impossible, tout simplement parce que l’essence même de cette pratique est la torture à mort d’un animal. Pour lutter contre la mafia des arènes, il n’y a pas de demi-mesure, la seule solution est l’abolition. Ainsi, en 2002, nous avons, à la demande de Jacques Dary, repris le CRAC, qui est devenu le Comité Radicalement Anti Corrida.

Au fil des ans, il est apparu évident que l’abolition de la corrida devait nécessairement passer par le politique. De quelle façon la voie a-t-elle été ouverte ?

En avril 2001, une délégation de la FLAC, Fédération des luttes pour l’abolition des corridas, présidée par Josyane Querelle, avait rencontré la seule députée officiellement pour l’abolition : Geneviève Gaillard, députée PS des Deux-Sèvres et présidente du groupe d’études sur la protection animale à l’Assemblée nationale. Cette rencontre, à l’occasion du cinquantenaire de la loi Ramarony-Sourbet (à l’époque l’alinéa 3 de l’article 521.1 du Code pénal, qui autorise les combats de coqs dans le nord de la France et dans les DOM-TOM, et les corridas dans le sud, sous couvert de tradition), fut le départ d’un tournant dans la lutte : l’absolue nécessité de faire changer la loi et de rallier à notre cause une majorité de députés. Ainsi, c’est en 2004 que Muriel Marland-Militello, députée UMP des Alpes-Maritimes, déposa, sous la XIIe législature, la première proposition de loi (ppl) pour l’abolition de la corrida en France. À cette occasion, le CRAC envoya aux 577 députés le DVD de Jérôme Lescure, Alinéa 3 (maintenant alinéa 7). Ce fantastique outil militant contribua à l’engagement de plus d’une cinquantaine de députés. Depuis, trois autres ppl ont été déposées à l’Assemblée nationale, et une au Sénat, par le sénateur PS Roland Povinelli. Mais pour quel résultat ? Pour l’instant, rien. Dans notre système actuel, une ppl ne peut aboutir que si elle est soutenue par le PS ou l’UMP. Or, côté UMP, nous avons eu, de 2007 à 2012, le gouvernement le plus aficionado que la France ait jamais connu : Sarkozy, Fillon, Alliot-Marie, Morin, Bachelot, Le Maire, Juppé… La liste est longue dans ces gouvernements gangrénés par la mafia des arènes ! Tous aficionados ou presque ! Une exception notable, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a signé pour l’abolition mais ne fait rien de manière active pour faire avancer notre lutte.

Alors, l’anticorrida, une valeur de gauche ?

Côté PS, l’hypocrisie, le mensonge et les petits arrangements entre amis sont de rigueur. De juin 2010 (première proposition de loi commune PS et UMP) à mai 2011, le travail des militants et des associations avait permis d’obtenir la signature de près d’une centaine de députés PS supplémentaires en plus des 100 déjà signataires (essentiellement UMP). Signatures qui n’apparaissaient nulle part… bloquées par le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault [M. Ayrault a depuis démenti… L. L.), sous la pression des députés aficionados Valls, Emmanuelli, Glavany et quelques autres. Quelle honte ! Alerté par le CRAC Europe lors de la manifestation unitaire du 28 mai 2011 à Paris, le sénateur PS Povinelli fait sauter le verrou et J.-M. Ayrault « permet » aux députés PS de déposer une nouvelle ppl et de la signer (preuve qu’avant ils n’avaient pas le droit !) — ppl qui fut déposée le 13 juillet 2011 par Geneviève Gaillard et quelque 25 députés socialistes. La voie était donc enfin libre ! Il fallait obtenir la majorité absolue au sein du groupe PS, soit un peu plus d’une centaine de signatures, que nous avions déjà potentiellement, pour que la ppl soit enfin débattue dans l’hémicycle… et votée ! Mais, durant l’été, nouveau blocage et nouvelles consignes des instances du PS en direction des députés. Cette fois, les députés contactés ne signaient pas, mais s’engageaient à voter l’abolition dès qu’il y aurait débat dans l’hémicycle. Petit détail : pour qu’il y ait eu débat, il aurait fallu au préalable obtenir les signatures… Une fois de plus, le PS se moquait des citoyens.

Quel événement politique donna un nouveau tournant à ce combat pour l’abolition ?

En parallèle de cette lutte parlementaire, le monde de la tauromachie sentait le danger et la prise en compte des revendications abolitionnistes par des députés de plus en plus nombreux. Il utilisa ses relais au plus au niveau de l’État afin que la corrida soit reconnue, en janvier 2011, comme faisant partie du PCI, patrimoine culturel immatériel de la France. L’annonce en fut faite seulement le 22 avril 2011, par l’un des responsables du petit monde de la torture tauromachique, à la veille de la feria d’Arles. Ce que ni le Mexique ni l’Espagne n’avaient osé faire, le ministre de la Culture français l’avait fait. Honte à Frédéric Mitterrand pour cette ignominie, lui qui a prétendu s’être « fait avoir » en signant un document sans le lire ! Honte à M. Mitterrand, qui, sous la pression des associations, a tout de même reconnu que la commission qui avait classé la corrida avait un fonctionnement opaque, mais qui n’a rien fait pour annuler cette infamie. Il en avait pourtant le pouvoir. Mais comment lutter contre Sarkozy et Fillon lorsqu’on est ministre ? En annulant cette décision et en démissionnant dans la foulée ? Mais le panache ne fait pas partie des qualités du ministre…
« Poursuivi » pendant l’été 2011 par de nombreuses associations et groupes informels (groupe de Lutèce, FLAC 66, Front des luttes pour l’abolition des corridas, CLAM, Collectif de libération animale de Montpellier, CRAC Europe…), Frédéric Mitterrand annonça la rédaction d’un décret ministériel pour modifier en profondeur la composition de cette fameuse commission ainsi que son fonctionnement. Prévu pour septembre 2011, ce n’est qu’en janvier 2012 que le ministre signa ce décret. C’est par Christophe Marie, directeur du bureau de la protection animale à la Fondation Bardot, que nous l’avons appris. On attend toujours la publication de ce texte au Journal officiel.

Quel acte juridique ce classement entraîna-t-il de votre part ?

Les protestations étant tout à fait insuffisantes face à des politiciens qui ne tiennent pas parole, le CRAC Europe et l’association Droits des animaux ont déposé plainte auprès du tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’annulation de cette inscription (le risque étant qu’elle permette ensuite d’inscrire la corrida au patrimoine immatériel mondial de l’humanité à l’Unesco, ce que serait une catastrophe sans précédent). Nous attaquons également le directeur de cette commission de classement, Philippe Bélaval, pour détournement de pouvoir. En effet, ce monsieur est un aficionado notoire, ancien membre du conseil d’administration de l’Observatoire national des cultures taurines. La procédure est en cours, et, si nécessaire, nous saisirons la Cour européenne des droits de l’homme. Dans le cadre de cette procédure, une QPC, question prioritaire de constitutionnalité, a été soulevée, visant à contester la constitutionnalité de l’alinéa 7 de l’article 521.1 du Code pénal, selon lequel les peines relatives à la cruauté contre les animaux domestiques ne s’appliquent pas aux corridas « lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ».

Lors de l’audience publique du Conseil d’État du mercredi 6 juin 2012, le rapporteur public a conclu au renvoi de notre QPC devant le Conseil constitutionnel, conformément à notre demande. Dans ses conclusions orales très argumentées, le rapporteur public a souligné le caractère « sérieux » de la QPC, « la difficulté réelle » qu’elle pose et le « contrôle de proportionnalité » à ses yeux « indispensable » que devrait exercer le Conseil constitutionnel sur les effets juridiques, fussent-ils « ténus », du classement décidé par le ministre au regard des dispositions pénales. Par décision du 20 juin 2012, le Conseil d’État a suivi les conclusions du rapporteur, bien que le garde des Sceaux (Michel Mercier, de l’ex-gouvernement Fillon) ait demandé le rejet de la QPC. La question de la conformité à la Constitution de l’article 521.1 du Code pénal est donc renvoyée au Conseil constitutionnel. La porte est donc ouverte pour une remise en cause de l’alinéa 7, et donc de l’existence même de la corrida en France !
Le classement de la corrida au patrimoine culturel immatériel français en janvier 2011 pose en effet une double question. Comment peut-on classer au patrimoine national un acte réprimé par deux ans de prison et 30 000 euros d’amende sur 90 % du territoire ? Et, au-delà de ce classement si controversé, comment des « sévices graves et des actes de cruauté » (article 521.1 du Code pénal) peuvent-ils bénéficier d’une exception sous couvert de « tradition locale » (alinéa 7 de ce même article) ? La République n’est donc plus « une et indivisible » depuis avril 1951 (loi Ramarony-Sourbet). C’est tout le sens de cette QPC présentée et argumentée par notre avocat, maître Éric Verrièle, du barreau de Paris.

Qu’y a-t-il précisément de changé depuis vingt ans ?

Tout ! Le point le plus important est la mobilisation de plus en plus forte de la jeunesse dans cette lutte contre la barbarie. 4 000 manifestants à Paris le 11 février 2011, avec de nombreux jeunes très impliqués. Ce phénomène est très récent, et nous le voyons s’amplifier jour après jour avec la multiplication des groupes informels et l’augmentation des effectifs des associations. Si l’on ne peut que déplorer les pressions lamentables de la quarantaine de députés aficionados (sur 577, soit à peine 7 % des élus), il faut en revanche se féliciter du nombre croissant de parlementaires abolitionnistes : 113 députés et 25 sénateurs. Cela aussi, c’est nouveau. À nous d’intensifier la pression citoyenne pour faire sauter définitivement les verrous, à droite comme à gauche. Pour cela, il est indispensable d’employer de nouveaux moyens d’action. Non seulement nous devons dénoncer avec force le financement public de la corrida (400 000 euros de déficit à Bayonne en 2011, payés par les contribuables), non seulement nous devons faire connaître l’existence des ignobles écoles de tauromachie, au sein desquelles des enfants et de jeunes adolescents apprennent à torturer et à tuer des veaux et des vachettes, mais il faut aussi créer de nouveaux rapports de force. C’est ce que nous ont suggéré des élus et de hauts magistrats, en « off » bien entendu.

C’est dans cet esprit, face à une démocratie en panne, qu’Animaux en Péril, le CRAC Europe et Droits des animaux ont sauté dans les arènes de Rodilhan, petit village près de Nîmes, le 8 octobre 2011, de manière pacifique et non violente, pour empêcher le massacre des innocents. La suite est connue : le lynchage de 95 militants par une foule haineuse et avinée, 70 plaintes pour coups et blessures, violence en réunion, menaces de mort, attouchements sexuels, non assistance à personne en danger et incitation à la haine. Le monde de la tauromachie, élus compris, dont le sénateur UMP du Gard et maire de Nîmes, Jean-Paul Fournier, s’est montré sous son vrai visage. Un procès retentissant s’annonce pour l’été ou l’automne 2012 à Nîmes.
Quelles conséquences a entraîné l’action à Rodilhan ?

Après Rodilhan, rien se sera plus jamais comme avant. La corrida va constituer de plus en plus un trouble à l’ordre public. Attention ! Pas de notre part, pas du côté des militants pacifistes qui luttent contre la barbarie, mais tout simplement parce que ce petit monde de la torture entre amis ne supporte aucune remise en cause. Notre simple présence est vécue par les tortionnaires d’animaux (et d’humains quand l’occasion se présente — les événements de Rodilhan l’ont prouvé) comme une provocation, alors que ce sont eux les provocateurs, êtres grossiers et pervers pour beaucoup d’entre eux, soutenus par des élus qui se rêvent « imperator », donnant des jeux à la populace.

L’abolition est en marche, dans toute la France, et les abolitionnistes seront présents partout, de plus en plus nombreux, toujours pacifistes, avec un seul objectif : empêcher le massacre et la torture. Par leur autisme, par leurs petits arrangements, ce sont les élus UMP et PS qui seront responsables de cette situation. Nos actions pacifiques sont la réponse à la lâcheté des politiques. Qu’ils entendent au plus vite le point de vue des 75 % de citoyens qui souhaitent l’abolition définitive de cette pratique d’un autre âge. Il y a urgence ! L’union sacrée de près de 200 associations au sein du collectif Non à la honte française ! n’est pas un vain mot.

Par le vote, nous allons peu à peu éliminer du jeu politique les élus aficionados. Nous avons toutes et tous ce pouvoir.

DERNIÈRE MINUTE. Philippe Bélaval, qui s’est impliqué personnellement et a joué un rôle majeur dans la décision du classement de la corrida au PCI, a été démis de ses fonctions de directeur général des patrimoines. Il est reconnu sans ambiguïté que les nombreuses protestations des différentes associations et mouvements anticorrida ont été entendues. L. L.

Propos recueillis par Luce Lapin