De la part de Michel Polac

De la part de Michel Polac

Ce n’était pas un mystère, tout le monde connaissait l’aficionado qu’il était, et vous imaginez combien cela me désolait. Mais il ne se serait jamais permis de faire l’apologie de la corrida dans Charlie Hebdo, le seul journal de toute la presse nationale française à y être radicalement opposé, et ce, depuis le premier numéro.

Nous n’en avions jamais parlé, jusqu’à ce jour, il y a sept ou huit ans, où, à l’occasion d’une conversation téléphonique, comme nous en avions parfois, il a lui-même abordé le sujet, à la suite d’une émission de télé — j’ai oublié laquelle. Surprise et grande émotion pour sa confiance et son honnêteté, que je n’ai pas manqué de lui exprimer, car il n’était pas obligé de me le faire savoir, quand je l’ai entendu me dire : « La corrida, c’est fini, je n’y vais plus. Au fil des années, à force de vous lire, vous m’avez désintoxiqué. » Oui, on se vouvoyait, surprenant, à Charlie ! Le mot « désintoxiqué » n’était certainement pas choisi au hasard, Michel Polac1 utilisait avec justesse dans ses chroniques littéraires et ses romans le riche et précis vocabulaire qu’offre la langue française. Je lui ai alors demandé s’il accepterait de signer la pétition abolitionniste initiée par le CRAC, Comité Radicalement Anti Corrida, mais il ne trouvait « pas honnête » de le faire, dans la mesure où, toute sa vie, il avait vanté les arènes, et il ne souhaitait pas non plus que je le révèle. Je m’étais donc contentée de partager cette bonne nouvelle avec quelques taureaux de mes amis.

« Vous le direz un jour pour moi », avait-il ajouté, et j’ai compris et ressenti toute la pudeur du non-dit qu’il mettait dans cette phrase. Ce jour est arrivé. Émotion. Merci, Michel.
1. 10 avril 1930 – 7 août 2012.

 Luce Lapin,
dans Charlie Hebdo en août 2012