Déterrage rime avec carnage

Déterrage rime avec carnage

Depuis le 15 mai, l’ignoble vénerie sous terre, ou déterrage, est de nouveau autorisée dans 74 départements. Renards et blaireaux (les vrais, pas les nuls) y sont tués par piégeage et déterrage, même en période de reproduction. Le déterrage est très prisé des chasseurs, qui vont les persécuter dans leurs terriers, lieux d’habitat et refuge. Pour le journaliste, écrivain et naturaliste sur le terrain Marc Giraud, c’est « le retour de la fête sanglante ». Entretien avec le porte-parole de l’ASPAS, Association pour la protection des animaux sauvages.

Comment qualifieriez-vous le déterrage ?
C’est l’une des pratiques de chasse les plus brutales qui soient (et il y en a !), une de ces spécialités françaises dont on se passerait bien, qui est d’ailleurs quasiment interdite partout en Europe.

Ces animaux sont considérés comme « nuisibles »…
Le renard est classé « nuisible », ou plutôt « susceptible d’occasionner des dégâts », comme le préconise la loi dite « Biodiversité » [n° 2016-1087 du 8 août 2016 « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », ndlr]. Cette pudeur de langage est une mascarade, car cela revient exactement au même pour le renard : on peut s’amuser à le piéger, à le mutiler et à le détruire toute l’année, y compris hors de la période de chasse. Le blaireau, lui, n’est pas « susceptible d’occasionner des dégâts », mais qu’importe : on a instauré une dérogation pour le buter même en pleine saison de reproduction. Alors qu’il n’est pas considéré comme un « nuisible », le blaireau est donc traité, qui rime ici avec maltraité, comme tel.

Qu’est-ce que le déterrage ?
Il consiste à boucher les entrées de la blaireautière, sauf une, où l’on envoie des petits chiens (des terriers) qui acculent les animaux affolés. Les morsures infligées aux blaireautins peuvent en conduire certains à la mort (c’est toujours ça de fait). À l’extérieur, prévenus par les cris, les chasseurs creusent, longtemps, parfois pendant des heures. Entre les pelles et les crocs, on imagine la panique de ces mammifères sensibles et intelligents (on parle bien des blaireaux). Puis les veneurs les extirpent à l’aide de pinces métalliques géantes. Ils les achèvent à coups de pelle ou au couteau, peuvent les jeter, agonisants, à leurs chiens pour une curée (pratique interdite, mais qui vérifie ?) ou les relâcher encore vivants, mais tellement traumatisés et blessés qu’on ne donnera pas cher de leur capacité à s’en remettre. Chaque année, quelque 165 000 blaireaux seraient ainsi massacrés.
L’APAS se bat contre cette pratique ignoble, et a déjà obtenu l’interdiction des concours de déterrage. Avec l’association CAP, nous alertons les parlementaires. Nous continuerons la lutte jusqu’à l’interdiction de cette pratique.

Quel rôle jouent les blaireaux dans les écosystèmes ?
Ce sont d’utiles terrassiers de la nature. En terrassant le sol, qu’ils aèrent, ils agissent en laboureurs. Ils favorisent ainsi l’apparition de plantes, car avec leurs excréments ils disséminent des graines et font office de jardiniers. Avec leur petite frimousse noir et blanc, ce sont un peu nos pandas. Et quand bien même ils ne seraient ni utiles ni craquants, ces animaux sauvages méritent de vivre leur vie. C’est un des autres combats de l’ASPAS : reconnaître un statut d’être sensible aux animaux sauvages. Il y a encore du boulot, mais, tôt ou tard, nous gagnerons !
Propos recueillis par Luce Lapin