Delphinariums : le bilan de Code animal
Code animal, fondé en 2001 par Franck Schrafstetter, qui le préside, se préoccupe des captifs des cirques, des zoos et des delphinariums. Julian Aranguren, responsable de la campagne « monde aquatique », dément une quelconque évolution sur le traitement réservé à ces prisonniers des bassins.
Dans quelles conditions de détention se trouvent aujourd’hui ces cétacés ?
À l’instar des zoos et autres aquariums, les delphinariums se targuent depuis une vingtaine d’années d’améliorations conséquentes. Celles-ci témoigneraient d’importants progrès éthiques, pédagogiques ou de protection des espèces. Ces affirmations sont à la fois absurdes et mensongères… En effet, les prétendues améliorations dont ils se vantent concernent surtout les conditions de vie des « pensionnaires » : agrandissement ou approfondissement des bassins, amélioration de la qualité de l’eau (en baissant le taux de chlore par exemple). Elles impliqueraient également de nouvelles techniques de dressage moins contraignantes, notamment le nourrissage en dehors du dressage. On peut également relever au titre d’amélioration l’augmentation du nombre de bassins et de baies naturelles fermées ou la diminution du nombre des captures. Mais je ne veux pas me perdre dans une liste infinie de détails qui ne feraient que cacher le problème de fond…
La pédagogie et la conservation des espèces sont avancées comme des arguments justifiant ces activités. La pédagogie est un leurre, car les informations sont tronquées, elles ne se focalisent que sur les aspects physiques ou anatomiques — et encore, elles sont souvent erronées ou incomplètes. L’éthologie, ainsi que les véritables mécanismes mentaux des animaux en général, l’intelligence et la « culture » sont des aspects totalement omis, car elles remettraient directement en cause l’activité des delphinariums. Quant à la conservation, elle n’est pas un objectif de ces établissements, les animaux détenus dans les bassins n’étant pas destinés à être relâché dans leur habitat naturel. Les dauphins de ces bassins ne sont là que pour alimenter cette industrie du spectacle, d’autant plus que ni les grand dauphins ni les orques, espèces les plus utilisées en delphinarium, ne sont considérés comme des espèces en danger. Ils ne jouissent donc pas de programmes spéciaux de réintroduction en milieu naturel ou de reproduction en captivité.
Le fait qu’il y ait des naissances prouverait qu’ils sont « plus heureux »…
L’idée avancée par les delphinariums est qu’au travers des améliorations apportées au fil de ces dernières années il y aurait eu une réponse au problème de la captivité, ou au moins une compensation significative des souffrances des prisonniers. Le dauphin serait maintenant heureux parce qu’il mange plus, parce qu’il ne souffre plus de problèmes médicaux ou physiques graves ou parce que les dresseurs l’aiment et prennent soin de lui. C’est bien entendu un leurre. Cela repose sur un certain nombre d’idées erronées sur la façon dont l’esprit d’un cétacé, et plus largement des animaux en général, fonctionnent. Ceux-ci sont souvent incompris ou volontairement ignorés par les gens qui les exploitent. Ainsi, de nombreuses fausses croyances sont colportées sans ménagement par l’industrie de la captivité. La connaissance des mécanismes de l’esprit animal, parfaitement connus depuis la fondation de l’éthologie, dans les années 30, démontre nécessairement que la captivité est non éthique. Il y a donc tout intérêt à faire taire les conclusions de cette science, notamment quant à l’instinct et à l’inné. Les rares naissances en bassin — à ne pas confondre avec la reproduction, qui implique au moins autant de naissances que de décès — ne sont là que pour fournir l’industrie des delphinariums, et ne sont donc d’aucune utilité pour la conservation de l’espèce elle-même.
En quoi la captivité est-elle obligatoirement néfaste, et quelles sont ses limites ?
La raison pour laquelle toutes les améliorations du monde ne solutionneront jamais le problème de la captivité elle-même est que la captivité est en soi une contrainte de l’être. Un être captif peut vivre dans le bassin le plus beau, le plus stimulant et le mieux aménagé, s’il reste contraint dans son être, il souffre. À cela s’ajoute le fait que ces animaux sont intelligents, ce qui pose un problème supplémentaire de souffrance, lié à leur capacité à avoir une culture. De plus, un être dit intelligent souffre toujours en milieu fermé.
Les cétacés sont des êtres nomades voyageant sur des kilomètres, allant à des profondeurs incroyables, nécessitant de se déplacer de façon constante et rapide dans l’immensité turbulente de l’océan. Cela nécessite un flux constant de stimuli donnés par l’environnement, mais surtout par les interactions sociales complexes d’avec leurs semblables. La captivité des cétacés a cela de pervers qu’elle brise la structure de ces sociétés cétacéennes. Elle crée des conflits terribles et parfois mortels qui n’ont pas lieu dans la nature, ou des dérives comportementales, comme l’inceste, qui pourtant est tabou chez ces animaux. Il y a véritablement « destruction de la culture ». Le cétacé ne peut plus agir et s’épanouir comme il lui a été enseigné dans son groupe. L’autre problème est plus large et tient à la spécificité même du delphinarium — qui je pense est lié en fait directement, même de façon inconsciente, à la spécificité des cétacés. Les delphinariums sont une sous-branche du cirque, où une seule espèce, ou groupe d’animal, est exclusivement présentée lors d’activités de spectacles ou lors de « séances de contact ».
Comment apprend-on au dauphin à « faire des tours » : qu’entend-on exactement par « dressage », et jusqu’où va la contrainte pour obtenir l’obéissance ?
Rappelons qu’un animal sauvage, même captif, n’est pas et ne sera jamais un animal domestique. Les dauphins doivent être pliés par la contrainte pour pouvoir se soumettre au processus de dressage. Cela passe notamment par la privation quasi totale de stimuli, afin que leur attention ne dévie pas (utilisation de bassin petit, peu profond et de béton nu, absence totale de toute décoration ou vie aquatique supplémentaire…), ainsi que par une forme de dépendance vis-à-vis du dresseur par rapport à la distribution de la nourriture. C’est la seule façon d’obliger un cétacé à se focaliser sur l’exécution et l’apprentissage de tours. À cela s’ajoute l’utilisation de nombreux médicaments tentant de pallier les conséquences typiques de la mise en bassin : réduction de la capacité musculaire, maladies, troubles du comportement, apathie, mais aussi suicides, mise à mort de dominant à dominés, agressions sexuelles, avortements spontanés, morts prématurées… Toutefois, si la liste des problèmes dont pourraient souffrir les cétacés est importante, elle ne doit pas faire oublier que c’est la captivité en soi qui est une contrainte de l’être et qui engendre une souffrance.
Mais pour parler plus spécifiquement de l’évolution des delphinariums depuis les vingt dernières années, il est sage de réellement mettre l’index sur le fait qu’aucune amélioration des conditions de vie en captivité ne solutionnera la souffrance du dauphin captif. Il est probable qu’une évolution des delphinariums vers des formes plus politiquement correct de bassins verra le jour. Mais cela n’est pas une solution. Ce ne sera qu’une évolution du « dauphin esclave » au « dauphin colonisé », une vision du cétacé comme une sorte de « bon sauvage » souriant et au service de l’homme. La captivité est un problème éthique, et doit être traité comme tel.
www.code-animal.com
Propos recueillis par Luce Lapin
10 février 2013