« Gloire à la virgule ! Mort au point-virgule ! » par Cavanna

« Gloire à la virgule ! Mort au point-virgule ! » par Cavanna

Si, grâce à Pivot, l’orthographe, bien qu’âprement discutée, est à la mode, par contre, la ponctuation…

Celle-là, on ne l’aime pas. Ah, non, alors ! Cette chichiteuse, cette emmerdeuse… On la balancerait volontiers par-dessus bord, elle, ses virgules qu’on ne sait où placer, ses guillemets qu’on ne sait quand ouvrir ni quand fermer. Le point, oui, à la rigueur…

Un bon gros, le point. Un type qui sait ce qu’il veut. Il s’abat, boum, comme son presque homonyme sur une table, pas à hésiter, la phrase est finie, bien finie, la suivante peut s’avancer en toute majesté, précédée de la majuscule déployée en oriflamme.
« Avant un point, on baisse la voix », m’enjoignait-on quand j’apprenais à lire. Je la baissais, docile. Dans mon empressement, je la baissais carrément de deux ou trois tons, ça faisait des fins de phrase à résonances caverneuses et, en effet, je constatais avec ravissement que cette plongée vers les graves marquait sans hésitation possible la fin du propos, faisait de la phrase un tout bien compact, proprement emballé dans son paquet-cadeau.

Le point, garde-chiourme de la syntaxe, mais aussi auxiliaire puissant de la pensée. Quand tu t’aperçois que tu te perds en un labyrinthe tortillant, que les incidentes, les mises en apposition, les subordonnées conjonctives et les relatives s’emmêlent et ne te mènent à rien qu’au galimatias, alors, arrête-toi. Ferme les yeux. Respire un grand coup. Deux, trois grands coups, bien profonds. Et distribue des points. De beaux gros points ronds… Aussitôt, ça va mieux. […] Combien d’auteurs gagneraient à user généreusement du point !

[…]

Qui a inventé le point-virgule ? Je ne sais pas. À quoi sert-il ? À rien. À embêter le monde. À rassurer les écrivains timides. À masquer le flou de la pensée derrière le flou de la syntaxe… Bref, à rien de bon.

La preuve : on peut toujours le remplacer par un point. Essayez, vous verrez. Chaque fois que, dans vos lectures, vous trouvez un point-virgule, mettez un point à la place, et aussi, par voie de conséquence, une belle majuscule au premier mot qui suit. Miracle ! Soudain tout sonne tellement plus clair, plus net, plus décidé !… Mais, objecte le scripteur, c’est justement le flou que je voulais rendre, l’incertain, l’hésitant… Très bien : les trois points alignés sont là pour ça, les si bien nommés « points de suspension », tellement éloquents dans l’art d’exprimer l’inexprimable !

[…]

Guerre au point-virgule, ce parasite, ce timoré, cet affadisseur, qui ne marque que l’incertitude, le manque d’audace […], et colle aux dents du lecteur comme un caramel trop mou !

[…]

François Cavanna
Extrait de Mignonne, allons voir si la rose… (Éditions Belfond, 1989, Livre de Poche, 1991.)